Espace Internet

1. Définition

Pour définir l'espace d'Internet je présenterais la thèse de Boris Beaude, il explique que le potentiel d'Internet demeure dans le fait que le monde entier ait un espace commun sur lequel être et agir. Sur Internet, il est possible d'échanger à travers le monde entier : de parler, de s'organiser, de trouver ou de diffuser de l'information mondialement. «Internet se trouve potentiellement en tout lieu, mais il est unique. Il est le concept et la chose. Sa force c'est précisément d'être un espace commun unique, mais mondial.»[1] Boris Beaude nomme cette caractéristique spatiale, synchorisation, il s'agit d'un néologisme pour définir un espace commun. De la même manière que la synchronisation signifie un temps commun, la synchorisation serait un espace commun. Par exemple, les écoles, les bibliothèques, les places publiques, sont des espaces de synchorisation. Lorsque nous n'avons pas un temps commun nous nous donnons un lieu commun. Internet est un espace commun singulier du fait qu'il est international : le monde entier se partage le même espace.

2. Pourquoi l'espace d'Internet est un enjeu pertinent ?

2.1. D'un média solide à un média fluide

a. Un média animé par des flux

Les médias imprimés étant figés par l'impression au moment de la production, ce sont des médias solides: «dès qu'ils sont produits, ils sont solides». Dans le cas d'Internet, quand je regarde un site, je ne vois finalement que la capture d'écran d'un média en changement constant. Et Gilles de Brock se pose cette question : «Si Internet n'a pas d'état solide, dans quel état se trouve t-il ? Dans un état liquide ?»[2] Ainsi, les informations sur Internet arrivent sous forme d'un flux constant de contenu. Selon Gilles de Brock, Internet est un média liquide dans le sens où il n'a jamais de formes fixes. «La comparaison entre le solide et le liquide est très pertinente quand nous parlons Internet. Internet ne connaît pas la solidité que nous avons connue dans les médias jusqu'à présent. Internet ne sent aucune friction lorsqu'il est déplacé: il passe d'un bout du monde à l'autre en une fraction de seconde.»[3]

Ensuite, si le web 1.0 était principalement spatial, le web 2.0 est fondé sur une idée d'espace-temps. Les sites sont devenus des plateformes, sur une page unique, les informations se chargent sous la forme de flux en constante évolution. En rechargeant la page, les éléments changent, se mettent à jour. Sur twitter, par exemple, l'information est sous la forme d'un flux qui évolue en permanence. Jonathan Pucket du studio Moniker a réalisé un projet qui souligne et rend visible ces évolutions de contenus au cours du temps. Il s'est intéressé à la fluctuation des informations. The Quick Brown est un site qui affiche les évolutions successives des gros titres d'actualité des sites d'informations. Par des ratures visibles, il montre les modifications. En effet, Internet étant un média qui permet la mise à jour en permanence, les rédacteurs des sites d'informations apportent des retouches au texte, légères ou radicales, en fonction de l'évolution de l'actualité. Cette idée du titre immuable tel que nous le connaissons dans les médias solides (journaux, livre..) se trouve métamorphosé en une forme fluide et adaptable.

Ipuckey Jonathan Puckey, The Quick Brown

b. Une pratique fluide dans la capacité à réapprendre

Si nous avons vu qu'Internet est un média en changement constant : les images, les textes évoluent en fonction d'un flux continu d’information. Il est, d'autre part, un média qui ne cesse de se développer : mise à jour, nouveaux langages, nouvelle technologie. Du web 1.0, au web 3.0, il faut en permanence désapprendre et réapprendre à utiliser Internet. «Avec l'arrivée d'Internet, il devient pertinent de se demander si un être humain ou un graphiste peut vraiment faire face à ce média en changement constant».[4] Alvin Toffler affirme que si la révolution de l'imprimerie a engendré l'exclusion d'un groupe d'individus, la révolution d'Internet rejettera ceux qui ne savent pas réapprendre.« Les illettrés du 21ème siècle ne seront pas ceux qui ne savent pas lire et écrire, mais ceux qui ne peuvent pas apprendre, désapprendre et réapprendre».[5] Je note donc l'existence d'une capacité fluide dans cette faculté à s'adapter et à réapprendre un média en continuelle évolution.

c. Un espace unique et infini

D'autre part, la synchorisation définit Internet comme un espace commun à l'échelle mondiale. En effet, il s'agit d'un espace unique qui se réactualise dans une infinité d'espaces : dans une multitude d'écrans possédant chacun des différences en termes de couleur, de taille, de résolution et de capacité de navigation. Ainsi, Internet est un média unique et commun possédant une infinité d'affichages possibles. De fait, à l'échelle du site Internet, je regarde toujours le même site que ce soit avec un ordinateur, une tablette ou un Smartphone. Possédant une seule adresse URL, un site Internet est unique bien qu'il soit vu sur des écrans différents. Si le contenu est le même, la forme change en fonction de l'appareil. Comme les liquides, Internet a pour propriété de remplir l'espace dans lequel il se trouve. «Les fluides ne tiennent pas une forme longtemps, ils sont toujours prêts (et sujet) pour le changement ; et donc pour eux c'est l'écoulement du temps qui compte, plus que l'espace qu'ils occupent: l'espace, après tout, ils le remplissent, mais seulement "pour un moment".»[6] Ainsi, la flexibilité d'Internet vient de sa fluidité et de sa capacité à remplir toutes sortes d'espaces dans le temps.

Iliquid Wikipédia, Content is like water

Selon le même principe, le projet What You See Is What You Get de Jonas Lund souligne cette idée de multitude. Il s'agit d'un site Internet qui capture la taille de votre écran lorsque que vous vous connectez sur le site et l'ajoute aux autres tracés représentant les visiteurs précédents. Ce projet montre qu'il n'y a pas deux fenêtres Internet qui ont la même taille. En plus des variations d'écrans, les fenêtres des navigateurs ont une infinité de formes possibles. Ainsi, la forme d'un site Internet doit s’adapter à cette flexibilité, à cette fluidité des formes. C'est ce qu'on appelle l'Internet responsive, ce sont des sites web adaptatifs : «conçus pour offrir au visiteur une expérience de consultation optimale facilitant la lecture et la navigation.»[7]

Jonas Lund Jonas Lund, What You See Is What You Get, site internet

3. Comment l'espace d'Internet influence le design graphique ?

3.1. Le graphisme, une pratique initialement solide

Internet, en tant que nouveau média, a changé la façon dont le design graphique envisage la création. Initialement, le paramètre de création du design graphique est l'espace. Créer une affiche ou un livre, c'est composer, positionner des éléments les uns par rapport aux autres dans un espace. Le design graphique règle les distances entre les composants en choisissant les marges, les images, les formes, l'orientation. En effet, le design graphique par son histoire envisage la création d'une façon solide. D'une part, le graphisme est fondé sur la pratique de l'impression et d'autre part, il crée en fonction de règles et en s'appuyant sur une grille : il compose de façon solide.


3.2. Du design solide au design fluide

a. Un contenu fluide

À l'heure d'Internet, cette pratique est obsolète. Le designer graphique doit désapprendre sa pratique initiale : solide, pour en développer une nouvelle : fluide. Le graphiste doit revoir sa pratique et développer une capacité d'adaptation et une habileté à la flexibilité. Internet ne possédant pas de formes fixes, le design fluide doit être en changement constant appuyé sur des flux d'informations. Comme on recharge une page web, le design fluide est un design réactualisé.


Si le design solide se définit dans l'espace, le design fluide est augmenté d'un nouveau paramètre : le temps. En effet, designer un produit pour le web, c'est créer des formes mobiles et liquides qui évoluent dans le temps. Le designer doit prévoir ces fluctuations d'informations dans son travail. Dans le cas d'un portfolio en ligne, le designer doit prendre en compte les futures mises à jour (ajout de projets, textes, images). Or, le projet supplémentaire sera peut-être différent dans le nombre, la forme, la nature. De ce fait, le designer crée sans connaitre l'ensemble de son contenu, il envisage les évolutions potentielles par une création graphique flexible.


b. Un espace fluide

D'autre part, si le contenu peut évoluer dans le temps, l'espace de visualisations peut lui aussi changer en fonction des appareils (du Smartphone à l'ordinateur). Comme défini précédemment, l'espace d'Internet est un espace responsive, il s'adapte à l'ensemble des écrans. Ainsi, la composition graphique doit envisager plusieurs espaces et s'adapter à des formats verticaux, horizontaux, carrés, larges ou étroits. Il s'agit du responsive design, le designer crée une forme capable de se décliner en fonction des écrans. Le graphiste étant habitué à composer ses créations dans un espace prédéfini, l'évolution aléatoire des espaces transforme son travail. Aujourd'hui le métier de graphiste est en mutation, le designer compose désormais des formes sur un espace mouvant.

Iresponsive Nir Avigad, Détournement créatif de la fonction de site responsive: le visage change en fonction de la taille de l'écran. Lien vers le site

c. Création de formes fluides et de systèmes adaptatifs

Par conséquent, je constate une mutation dans la façon d'envisager graphiquement les formes : on passe d'une création immuable, dépendante d'une grille, vers une création qui repose sur des systèmes de compositions adaptatifs. Dans le premier cas il s'agit de travailler une image, dans le second de créer une logique graphique, un système cohérent.


Ainsi, par système adaptatif, j'entends une création qui passe par des logiques qui définissent le comportement des éléments en fonction de leur nature (image, texte, légende). Il ne s'agit plus de positionner des formes les unes en fonction des autres mais de définir des actions pour chaque élément de même nature. De ce fait, je ne fige pas les éléments, je leur donne au contraire un mouvement, une action. J'illustre cette idée en m’appuyant sur le site Il tempo del postino sur lequel j'ai travaillé avec les graphistes du studio Metahaven. En effet, nous n'avons pas créé des compositions, nous avons créé des règles correspondant à chaque élément. Les textes, par exemple, apparaissent en superposition située à la moitié de la fenêtre du navigateur, les titres sont toujours en bas à gauche, les vidéos et les menus sont centrés. De cette manière le site Internet se compose à partir des régles du jeu. Ainsi, pour être cohérent sur Internet, le graphiste crée des logiques visuelles fluides qu'il ne compose pas solidement.

Imthvn Metahaven, Il tempo del postino, site Internet

Open source

1. Définition

«Je peux expliquer le logiciel libre en 3 mots liberté, égalité, fraternité» Richard Stallman


A l’origine, le terme open source caractérise l'ouverture d'un logiciel se fondant sur un accès libre au code source. A l'inverse, un logiciel propriétaire est un programme fermé : le code source est inaccessible. Aujourd'hui, le terme d'open source s'applique à des domaines plus larges que l'informatique et les logiciels, la culture libre s'est étendue au champ de l'éducation, des connaissances, de la création… Il s'agit d'un mouvement idéologique qui lutte pour l'ouverture des objets numériques pour permettre leur utilisation, leur modification et leur libre circulation. Si les logiciels libres (VLC, LibreOffice, WordPress…) se sont imposés parmi les programmes les plus rependus, le libre s'est aussi étendu aux moteurs de recherche (Firefox), aux systèmes d'exploitation (GNU/Linux), aux encyclopédies (Wikipédia), aux monnaies (Bitcoin), au design (DIT : DoItYourself, LibreObjet, OSP) et à d'autres domaines (Libre Graphic Magazine, cyberfeminism par Femke Snelting de Constant).

OSlogiciel

Richard Stallman, aujourd'hui reconnu comme figure emblématique du libre, a initié dans les années 1980 le mouvement en créant la Free Software Fondation. Le terme de Free Software est crucial pour son auteur. La phrase de Richard Stallman expliquant le terme anglais free comme libre et non gratuit est désormais célèbre: «pour comprendre le concept, vous devez penser à “liberté d’expression” (free speech), pas à “bière gratuite” (free beer).»[1] Juridiquement, une licence libre permet de définir un objet comme étant open source et elle s'établit sur les quatre libertés fondamentales énoncées par Richard Stallman. Un logiciel libre doit garantir «la liberté d’exécuter le programme pour tous les usages ; la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins – ceci impliquant un code source ouvert ; la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider son voisin ; la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté, ceci impliquant également un code source ouvert»[2]


Historiquement, le mouvement du libre s'est scindé en deux groupes: le FreeSoftware (Richard Stallman) et l'open source (Linus Trovalds). Pour la Free Software Fondation (FSF) la notion de libre est avant tout une recherche d'émancipation sociale, pour l'open source les intérêts sont plus centrés sur la performance technologique. Le terme F/LOSS (Free Libre Open Source Software) permet de regrouper sous un seul terme les deux groupes qui malgré des philosophies divergentes recherchent la même logique de développement.

OSglossy Image de la présentation de studio de graphisme Manufactura Independante au LGM / jeu de mot en F/LOSS et G/LOSSY

2. Pourquoi l'open source est un enjeu pertinent ?

2.1. L'open source une «utopie concrète»

a. Le partage un comportement intrinsèque des êtres humains

Comme sous-entendu par le titre de Sébastien Broca, «Utopie du logiciel libre», l'open source est fréquemment perçu comme un mouvement idéaliste et marginal. Or, si l'open source demeure une pratique alternative elle n'en est pas moins une méthode pertinente et réaliste.


Premièrement, le partage et la mutualisation des connaissances qui sont le fondement de la démarche libre sont des comportements intrinsèques de l’être humain. Effectivement, «nous agissons pour obtenir un profit matériel, mais également pour notre bien-être psychologique et notre plaisir, et pour tisser des liens sociaux»[3] écrit Yochai Benkler dans La richesse des réseaux. Et il ajoute « Il n’y a là rien de nouveau ni de surprenant, sauf peut-être pour certains économistes.»[4] Bien que le système capitaliste nous ait convaincu du contraire, je définirais la collaboration, le conseil, l'écoute comme des actions naturelles chez l'Homme. Dans le milieu universitaire, par exemple, un chercheur s'appuie sur les travaux d'autres et sur l'ensemble du travail des chercheurs qui l'ont précédé. De ce fait, il ne repart pas de zéro, il continue le travail initié par quelqu'un autre. De la même manière, open source permet l’«itération» au lieu de la «réitération» ou de la «réplication». Il donne la possibilité d'apprendre des années d’expériences de précurseurs et évite de répéter des erreurs.

b. Originairement libre

Le second point que je relève est qu'originellement les codes sources étaient ouverts. Comme pour les connaissances universitaires, les codes informatiques circulaient librement. Si les logiciels sont aujourd'hui privés et fermés c'est un choix qui s'est imposé par la suite avec l'apparition des ordinateurs privés. Le mouvement du logiciel libre s'est précisément formé en réaction à la fermeture des logiciels. Initialement, les logiciels sont libres du fait qu'ils sont une composante de l’ordinateur. Richard Stallman avait pour but, selon ses propres mots, de « ramener l’esprit de coopération qui avait prévalu autrefois dans la communauté hacker, quand la question de la propriété intellectuelle du code n’existait pas et que tous les codes sources s’échangeaient librement. »[5]. J'ajouterais que l'ouverture a été, dans le cas d'internet, la condition de sa réussite. De ce fait, le succès d'Internet nous montre que l'ouverture du code Informatique n'est plus une pratique marginale mais au contraire une composante fondamentale pour le développement d'objets informatiques et une pratique inhérente au numérique.

c. La frontière de la technicité

Enfin, la communication massive des sociétés de matériel informatique a tendance à repousser les initiatives libres en marge de la société. Les services comme Apple, en proposant des lots pré-composés (ordinateur, système exploitation et logiciel) encourage une utilisation par défaut de logiciels propriétaires. Choisir un système libre devient une action intentionnelle. De plus, certains outils open source peuvent nécessiter une connaissance technique, notamment les systèmes d'exploitation libres qui peuvent être difficiles à installer. La marginalité de l'open source réside, selon moi, dans cette difficulté d'accès et non dans l'irréalité de son idéologie. Pour Sébastien Broca, si le libre est une utopie il s'agit d'une «utopie concrète». Le titre soulignait l'idéalisme, toutefois le contenu de son livre analyse l'aspect tangible de l'open source.


OSlgm Photo de groupe – LGM 2014 Liepzig

2.2. L'open source, un projet social

Le Libre Graphic Meeting (LGM), auquel j'ai participé en avril, est un festival qui rassemble des développeurs, des utilisateurs, des designers pour échanger sur des projets open source ayant une implication graphique. En repensant à cette expérience, je remarque qu'il était, en définitive, assez peu question de code source. L'ouverture des sources est, ici, une base acquise ; les problématiques envisagées ont une portée plus large comme la qualité, l'éthique, le partage, la création, la défense des droits des internautes. Pour Christopher Kelty, le Libre «n’est pas une chose, une technologie ou une licence en particulier : c’est une possibilité». Je perçois l'open source comme un projet social qui encourage l'implication immédiate et personnelle des individus dans la vie sociale en diminuant les intermédiaires et les hiérarchies et en encourageant les rapports directs et collectifs. «Ainsi, les individus peuvent désormais réaliser eux-mêmes beaucoup plus de choses intéressantes à leurs yeux, en interagissant socialement les uns avec les autres, en tant qu’êtres humains et êtres sociaux, plutôt qu’en tant qu’acteurs du marché par le biais d’un système de prix.»[6] Une démocratie participative et directe se fondant sur une implication sociale et politique au niveau des individus favorise l'émergence d'une société plus égalitaire et juste.

2.3. Idéologie du libre

Je résumerais mon intérêt pour le libre en présentant les trois points principaux qui définissent cette idéologie.


a. Changer le rapport à la machine

D'abord, je mets en évidence la volonté de changer le rapport utilisateur-machine. Aujourd'hui, en acceptant d'être consommateur de technologique, nous admettons de perdre la connaissance technique de ces objets. Apple en est le plus bel exemple, il est impossible de retirer ou changer les composantes soi-même. En consommant des objets Apple nous acceptons d'être soumis à la marque. Afin d'échapper à l'ignorance, le Libre prône de transformer notre rapport à la technologie et de se réapproprier les objets informatiques par la compréhension et la manipulation. La transparence d'une machine autorise l'utilisateur à l'adapter à ses besoins ou ses envies mais permet aussi la confiance. Si l'ensemble des utilisateurs ont accès au code source, ils peuvent contrôler les failles, les disfonctionnements ou s'assurer de l'absence de la NSA par exemple. En avril 2014, une faille de sécurité (Heartbleed) a été trouvé sur le logiciel open source OpenSSL présente depuis deux ans et touchant près d'un demi-million de serveurs. Comment être sûr qu'il n'existe pas de failles similaires sur des composants propriétaires ? Les logiciels sont en train de prendre possession de nos espaces, il est primordial d'assurer leur accessibilité si nous ne souhaitons pas vivre dans un environnement hermétique saturé de boites noires.


b. Changer le rapport au travail

Je remarque, ensuite, la proposition de changer le rapport au travail, ce qui constitue la seconde force de la culture Libre. Fondé sur la pratique que les Hackers incarneraient, le travail ne serait pas seulement envisagé comme le moyen d'assurer sa subsistance ou sa richesse mais il reposerait sur l'intérêt personnel ou la passion. L'importance du travail ne résiderait pas dans sa fonction mais dans son contenu pouvant permettre une réalisation de soi et une satisfaction personnelle. Ce développement personnel passerait par la réalisation d'une tache vécue comme intéressante et gratifiante.


Cette vision du travail peut être soutenue par un «revenu universel», un salaire fixe qui serait donné à tous, riches et pauvres, pour encourager le développent d'activités à faible revenu. Ce revenu de base serait cumulable avec d'autres revenus d'activités. Cette idée a été développée par différents intellectuels comme le philosophe André Gorz, ou l'économiste Yoland Bresson. Aujourd'hui, cette idée «utopique» prend de l'envergure car 250 000 citoyens ont signé pour proposer le revenu de base à la commission européenne.


c. La libre circulation de l'information et des connaissances

Enfin, je note un engagement dans la libre circulation de l'information comme encouragement au développement humain et aux bénéfices sociaux. Ces idées viennent des premiers textes sur la cybernétique et des écrits de Norbert Wiener qui évoquait que l'information serait la clé de la compréhension du monde et la circulation de cette information la possibilité du progrès humain. De ce fait, il s'opposait par exemple à sa marchandisation pouvant freiner son utilité sociale. La croyance dans le potentiel de la circulation de l'information est une des notions clées de la culture libre, elle passe par la lutte contre une propriété intellectuelle trop restrictive qui figerait les connaissances. Comme l'exprime le slogan des activistes engagés contre la limitation de l'accès à l'information: «L'information mérite d'être libre»[7]


Le libre s'est considérablement développé en Europe et aux Etat Unis. Désormais, le libre dépasse la question d'ouverture du code source pour défendre une «culture libre». «Il est désormais évident que l’ethos des libristes possède un pouvoir d’attraction qui s’étend hors du cercle des passionnés d’infor­matique.» [8]

3. Comment l'open source influence le design ?

3.1. Expérimentation numérique

Je vois dans l'Open Source la possibilité de transformer le processus de travail du graphiste. Aujourd'hui nous créons des formes produites principalement grâce à des outils numériques. Ce sont sur ces outils que se porte, pour moi, une possibilité de dépassement. Dans le champ du graphisme, l'expérimentation est riche et variée : recherche par l'engagement politique (Metahaven), par la fiction (Golgota), par l'impression (egm), par la couleur (Fanette Mellier), par la technologie (Moniker), par la typographie expéri­mentale (Vier5), par la culture pop (Pinar&Viola)… Malgré cette diversité tous les graphistes (professeurs de l'école, étudiants, designers graphiques reconnus) utilisent le même outil : la suite Adobe. Bien que ces logiciels soient performants, il me parait étonnant que presque 100% des graphistes s'accordent sur un seul et même outil. L'appropriation de nos outils est une question qui a été envisagée par plusieurs auteurs, comme Kevin Donnot dans le texte Code = Design «pourquoi, comme William Morris, ne prendrions-nous pas nos outils en main ? Pourquoi ne pas sortir du sentier balisé par Adobe ?»[9] Cependant, aujourd'hui l'écrasante majorité des designers graphiques continue d'utiliser la suite Adobe. Je développerai quelques points qui remettent en question cette utilisation systématique.

Suite Image de la présentation de studio de graphisme Manufactura Independante (Libre graphics & Design research studio) au LGM / Métaphore du logiciel propriétaire avec l'habitat: l'hotel représente la suite Adobe dans le sens ou nous ne pouvons pas nous approprier un hotel. L'appropriation de l'espace y est impossible. diversite Métaphore du logiciel libre avec l'habitat. La diversité de l'habitat personnel représente la richesse possible avec les logiciels libres et leur possible appropriation par les utilisateurs.

a. Examiner, apprendre, connaitre

D'abord, je définirais la première étape de création comme le fait d'examiner, d'apprendre et de connaitre son média de création. Or, ce que je remarque aujourd'hui, c'est qu'en raison du passage au média numérique on ne s'intéresse plus à la connaissance de son matériau. Du fait du niveau de technicité, nous admettons d'être dépassé et nous acceptons de faire confiance à une seule entreprise privée. Nous permettons l'ignorance. C'est ici que l'Open Source m'apparait comme étant pertinent dans un processus créatif car il est possible d'examiner, d'apprendre et de connaitre ses outils open source. Toutefois, je ne souhaite pas enfermer le designer dans des problématiques techniques, je ne pense pas qu'il ait besoin d'avoir le niveau d'un ingénieur. Je crois, cependant, que le graphiste gagnerait à collaborer plus largement avec des développeurs que ce soit pour la création de sites Internet ou d'outils numériques.

Balsamine Programme du Théatre de la Balsamine, réalisé par OSP – mise en page générée par le code informatique

Par exemple, le groupe OSP qui se définit comme une caravane de créateurs (typographes, graphistes, développeurs, mathématiciens, écrivains, artistes) est un studio de création qui produit du design graphique en utilisant uniquement des outils libres et des logiciels open source. Ils définissent ces outils comme : «logiciels qui invitent les utilisateurs à prendre part à leur élaboration»[10] Pour OSP, le logiciel joue un rôle dans le processus créatif et le collectif cherche à trouver comment les outils numériques pourraient devenir des éléments créatifs dans le processus de conception. Au lieu de renoncer, par facilité, au code informatique, ils préfèrent intégrer cette dimension dans leur production. Ils ont réalisé, par exemple, l'ensemble de l'identité graphique du théâtre la balsamine à Brussels en utilisant uniquement des outils libres et le code informatique. Ils ont, notamment, généré informatiquement le programme du théâtre. Le travail génératif (produit par le code informatique) fait désormais partie de leurs étapes de création. Il s'agit d'un calque supplémentaire qui mérite d'être traité avec autant de qualité que le traînement de l'impression ou du façonnage.

Balsamine Programme du Théatre de la Balsamine, réalisé par OSP – mise en page générée par le code informatique

En permettant l'adaptation et l'appropriation, les outils libres sont maniables et flexibles. «Le free software a toujours cherché à concrétiser ses intentions dans des technologies librement modifiables, la malléabilité est en quelque sorte en son principe même.»[11] De ce fait, je pense que le graphisme développe une pratique fluide s'il place l'outil dans la continuité de son travail. Etant le plus qualifié pour définir son processus de création, il façonne son outil en fonction de sa pratique. Le designer fluide ne peut se contenter d'une utilisation amateur, il doit connaitre l'essence de ses matériaux pour les dépasser et faire avancer la recherche graphique. «Un graphiste-hacker pourrait créer ses programmes à sa main, pour répondre à ses exigences propres, lesquelles participent à son statut d’auteur.»[12]

OSadobe Image réalisée par Anthony Masure pour souligner le caractère «par défaut» des logiciels Adobe

b. Maitriser ses outils

À la fin du 19ème siècle, le créateur William Morris était convaincu que les travailleurs devaient non seulement avoir la propriété collective de leurs propres moyens de production, mais il croyait aussi en une autre forme de maîtrise, celle de bien utiliser, de bien maitriser les outils. Pour William Morris, la «maitrise» allait plus loin que la simple habileté physique. Le mouvement Arts and Crafts a réuni des artistes et des designers qui ont réfléchi en profondeur sur l'influence du processus de production, sur la nature et la signification des objets du quotidien. Pour eux, faire du bon travail impliquait non seulement la propriété économique des machines et des ressources, mais aussi la maîtrise technique du travail, des outils, pour éviter d'être l'esclave de la machine.

Femke Snelting, du groupe OSP (Open Source Publishing), explique que posséder des logiciels ce n'est pas la même chose que les maitriser: «les logiciels propriétaires réduisent notre rôle à celui d'utilisateur en bout de chaine ou au rôle de consommateur ; avec les logiciels libres nous sommes potentiellement les co-developpeurs et ce point fait toute la différence.»[13] C'est une forme de valorisation qui ne passe pas par des logiques de profils mais par une économie de la connaissance qui transforme l'usager en contributeur.

diversite Image réalisée par Anthony Masure pour souligner le caractère absurde des logiciels adobe: «effet pointilliste»

Dans Le langage des Nouveaux Médias, Lev Manovich observe que la création par des logiciels se fait sous l'angle d'une «logique de sélection». Ainsi, nous utilisons des menus prédéfinis dans lequel le nombre de sélections est limité: si nous avons le choix entre 10 tracés nous ne pouvons pas en avoir un 11ème. Anthony Masure nous explique dans son article Adobe, le créatif au pouvoir, que le travail du créateur réside, précisément, dans le fait d'agir différemment, or les logiciels propriétaires n'autorisent pas la différence. «Là où Adobe pense en termes de solutions, le designer crée de la divergence dans des systèmes techniques ou réflexifs. C’est parado­xalement en ouvrant et en se jouant de la résistance de l’idée à la forme que le designer peut construire son autonomie. C’est dans cette nécessaire liberté qu’un pouvoir pourrait s’exercer.»[14] La graphiste Loretta Staples pense que ces programmes créent «un espace[…] où la facilité d'utilisation prend le pas sur notre autorité d'auteur.»[15] D'autre part Erik Van Blokland évoque l'illusion d'une exhaustivité qui résiderait dans l'idée que «tout peut être fait en utilisant un menu déroulant et une barre d'outils».[16]

Cmetapolator Metapolator, déclinaison typographique

Le design fluide s'inspire de la culture libre dans sa méthode expérimentale. Premièrement en étant libre d'expérimenter, en acceptant de se tromper pour permettre de découvrir ce dont on ne soupçonnait pas l'existence. Le design fluide, en se fondant sur la culture libre, puise sont renouveau dans sa capacité à bricoler le numérique, et dans sa capacité à se réapproprier certains savoirs retenus par des structures de pouvoir fermées. Il existe une multitude d’outils libres créés par des développeurs pour des designers qui proposent un éventail de possibilités que ce soit pour la retouche photo (G'MIC, XX), la création typographie (Metapolator, 0xA000, Prototypo, Metaflop) ou la création éditoriale (Flat, Even). Metapolator est un outil libre qui permet de «transformer toute typographie existante en un squelette et de la controler»[17]. Cet outil calcule informatiquement l'architecture d'une typographie ; l'utilisateur, à partir de ce squelette, peut paramétrer ses modifications et ainsi créer une série de déclinaisons à partir d'une typographie existante. Flat est un outil développé sous licence libre par Juraj Sukop, il s'agit d'une plateforme pour créer des formes numériques. Son objectif est de permettre l'expérimentation en testant le processus à la fois de l'imprévisible et de l'automatisation. Cette plateforme permet notamment de générer des mises en page par le code informatique. De ce fait, je considère que cette gamme d'outils librement accessibles enrichie les potentiels de création d'un designer. En opposition à l'unique suite Adobe, la diversité des outils libres entraine un possible renouveau dans la création.

OSflat Flat : outil libre permettant la programmation de mise en page par le code informatique

3.2. Un processus créatif libre: «use and modify»

Le groupe de graphistes OSP applique les logiques de l'open source (utiliser, copier, modifier et redistribuer) à leur production graphique. De la même manière que le code source est librement accessible avec les logiciels libres, les fichiers sources de leur création sont disponibles sous licence libre. Leurs documents sources, appelés «ingrédients», sont ouverts et librement téléchargeables sur leur site Internet : chaque projet possède une description, les images et les fichiers sources. Ainsi, tous leurs documents sont libres d'être modifiés. En effet, ils nous incitent à re-utiliser leur travail: «Nous vous invitons chaleureusement à les étudier, les améliorer, redistribuer des copies et transmettre des améliorations (ou même des versions instables)».

J'observe cette pratique d'ouverture des sources comme une méthode fluide qui encourage le partage et la création d'un écosystème créatif. Cette ouverture entraine l'émergence d'un nouveau processus créatif basé sur l'échange. Le design fluide est un design open source: qui encourage la réutilisation et la modification de son travail par d'autres (professionnels ou amateurs). «En tant que concepteurs, nous sommes intéressés par une culture qui favorise l'échange de propriété, parce que nous comprenons que la créativité repose sur l'inspiration par les autres.»[18] Le site Internet Use & Modify illustre cette idée. Sur ce site sont hébergées des typographies libres. Comme l'indique le nom du site, ces typographes encouragent l'utilisation, le partage et la modification.


D'autre part, l'idéologie d'ouverture des sources d'une création touche d'autres domaines que le graphisme ou la typographie. Libre Objet est un groupe qui réunit des designers industriels, des graphistes, des hackers et des artistes autour de la volonté de produire des objets et du design industriel en open source. Sur le site Internet du collectif, il est possible de télécharger librement les plans et les instructions. Le graphisme, la typographie libre sont des créations dont le potentiel de partage leur confère une dynamique fluide. En étant librement modifiables et partageables ces formes développent une fluidité dans leur réutilisation, une relation fluide se crée entre les différents contributeurs.


Le design fluide s'inspire de la culture libre, par l'expérimentation d'un part et par la diffusion libre d'autre part. Cette ouverture d'accès entraine une organisation participative ou collaborative. Nous étudierons la relation entre contribution et création dans la partie suivante.

La contribution

1. Définition

En se basant sur des fondements participatifs, l'économie collaborative cherche à produire de la valeur en commun. Les citoyens s'organisent en réseau ou en communautés grâce à une mutualisation des espaces et des outils et prennent des décisions de manière horizontale. En effet, les organisations collaboratives rompent avec les systèmes hiérar­chiques pour favoriser des échanges transversaux. «Il n’y a plus dissociation des producteurs et des consommateurs, mais association des destinataires et des destinateurs produisant une nouvelle forme de socialité et un nouvel esprit du capitalisme.»[1]

Le champs d'activité des organisations collaboratives est vaste: il comprend des systèmes de consommation participative (AMAP: Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne), des hébergements collaboratifs (Couchsurfing, Airbnb), le coworking, le covoiturage, des modes de vie collaboratifs (habitat collectif), le crowdfounding (financement participatif), le bitcoin (banque collective), mais aussi des productions contributives (Do It Yourself, Fablab, Imprimante 3D) et la culture Libre (open source, voir Point 2).


2. Pourquoi la contribution est un enjeu pertinent ?

2.1. Une alternative à la société de consommation

Fondé sur la consommation, le système économique actuel est devenu archaïque et en contradiction avec les nouveaux enjeux de société. Comme la crise économique le démontre, ce système consumériste, hérité du 20ème siècle, est désormais obsolète. Bernard Stiegler affirme que 80% des américains en ont marre de la société de consommation qui est, selon lui, reconnue comme «dangereuse». De ce fait, il affirme que le passage à une économie contributive est une mutation indispensable pour nos sociétés. Effectivement, il souhaite que l'on «dépasse le modèle consumériste devenu fondamentalement toxique et aliénant.»[2]

Ainsi, l'économie contributive fondée sur des échanges collaboratifs s'impose comme une alternative au capitalisme actuel. Cette idée encourage une refonte complète des projets politiques et économiques par l'adoption des modèles contributifs. Par exemple, les smartgrids, distribution intelligente de l'électricité supportée par des technologies informatiques, sont une alternative contributive à la surconsommation d'énergie. En effet, sous la forme d'un réseau d'électricité qui connecte directement les producteurs et le consommateur, il est possible de réguler la production, la distribution et la consommation pour éviter la surproduction d'énergie.


Ainsi, Bernard Stiegler et en général, le mouvement Ars Industralis croient en un nouveau système contributif. Christian Fauré ajoute dans l'ouvrage La mécroissance qu' «Il ne s'agit pas non plus de liquider le capitalisme mais bien plutôt de le révolutionner, puisqu'il est à présent en faillite déclarée, en prenant la mesure de la révolution technologique qui s'est elle-même opérée au niveau de l'infrastructure du numérique.»[3]

De la même manière que l'Open source me semble une alternative viable et enrichissante pour les citoyens, les organisations contributives et l'économie collaborative me semble être les enjeux cruciaux des années à venir. Chris Anderson explique dans Makers que le Web permet une innovation ouverte ou chacun crée quelque chose à partir du travail de quelqu'un d'autre qui sera ensuite repris par une tierce personne : un système d'innovation communautaire. Il affirme que «la structure industrielle du 21ème siècle sera très différente de celle du 20ème siècle. Au lieu des innovations imposées d'en haut par les grandes entreprises du monde, on voit des innovations venues de la base, d'innombrables individus, aussi bien amateurs qu'entrepreneurs et professionnels.»[4]

Dans ce chapitre, je souhaite plus particulièrement envisager la question de la collaboration dans le travail. Comment la collaboration, notamment sur Internet, a transformé le rapport au travail. Et enfin estimer le lien entre la contribution et la création : comment pouvons-nous envisager une collaboration dans la création et le design graphique ?


2.2. La collaboration permet l'individuation

a. Perte de l'individuation

Le concept de perte d'individuation a été introduit par Gilbert Simondon pour définir la perte du savoir-faire de l'ouvrier face à la machine-outil au 19ème siècle. Bernard Stiegler explique que aujourd'hui c'est la société de consommation qui prive les individus de leur singularité. Comme la société industrielle a automatisé le travail entrainant la perte du savoir faire, la société de consommation a automatisé le savoir vivre entrainant la perte de l'individuation. «Désormais, c'est le consommateur qui est standardisé dans ses comportements par le formatage et la fabrication artificielle de ses désirs. Il y perd ses savoir-vivre, c'est-à-dire ses possibilités d'exister.»[5] Les groupes marketing et les publicités nous inculquent ce que nous voulons porter, manger, acheter. En existant dans des modes, des styles de consommation, nous nous définissions en fonction d'un groupe social et peu en tant qu'Individu.

b. La contribution passe par la réflexivité

Dans le travail collaboratif, il y a un impact réflexif sur les individus qui participent au projet. En contribuant à des projets collectifs, j'augmente le travail du groupe. Ce travail collectif aura, en retour, un impact réflexif qui entrainera le développement de ma recherche personnelle, ma singularité. Si la première action est de donner quelque chose à la communauté, il y a dans un second temps une réflexivité qui se crée en recevant le travail mutualisé de la communauté.


c. L'individuation retrouvée par la co-individuation

Pour Bernard Stiegler et Irit Rogoff, la contribution permettrait l’individuation. Ils définissent cette individuation par le groupe comme trans­individuation et co-individuation. En contribuant à des projets collectifs, chaque contributeur définit individuellement son action entrainant la définition de sa singularité. À travers la co-indiviuation des je, se crée la trans-individuation du nous. «La trans-individuation est la trans-formation des je par le nous et du nous par le je.»[6] De ce fait, en collaborant ou en participant à une communauté les citoyens développent leur individuation. Mon intérêt pour l'économie contributive réside dans sa capacité à encourager le processus de singularité.

2.3. Git : un outil collaboratif

La co-indivuduation définie par Bernard Stiegler est notamment possible sur la plateforme Github ; j'expliquerai, dans cette partie, les enjeux et les atouts du fonctionnement de cette plateforme collaborative. Créée par Linus Torvalds, Git est un logiciel open source qui permet aux programmeurs de collaborer entre eux. GitHub est le réseau social qui s'est ajouté à Git et qui permet de l'utiliser plus facilement en ligne. Par l'utilisation des fonctions propres aux réseaux sociaux : commentaires, favoris, following, Github permet des échanges collaboratifs par la discussion et par des interactions entre les membres. Les projets en ligne «sont ainsi enrichis de nombreuses variations incluant de nouvelles fonctions ou de nouvelles applications. Le code est partagé par tout le monde et tout le monde peut faire évoluer n’importe quel projet dans n’importe quelle direction.»[7] Ainsi, Github propose un système où tout le monde pourrait suggérer des améliorations à tout type de projets et où toutes les corrections peuvent être discutées comme une conversation Facebook. D'autre part, Git se caractérise par deux fonctions importantes: il permet d'une part l'archivage des documents et d'autre part la contribution par la création de forks (déclinaisons). Je présente dans la partie suivante ces deux fonctions et leurs potentiels. Si, à l'origine, Git est utilisé par des développeurs pour collaborer, aujourd'hui, il est devenu un réseau très utilisé et rependu et il s'étend à d'autres domaines que l'informatique.

De manière générale, le réseau Internet a encouragé la création de sites participatifs de sorte qu'il existe de nombreuses plateformes collaboratives comme Etherpad (éditeur de texte collaboratif), Hackpad, Iceberg (organiser et partager des informations de manière collective), Trello (suivi de projet collaboratif), Stet (création de texte collaboratif), Exquisite Forest (projet artistique collaboratif sous forme d'arborescence).

versionning Arborescence Github : schéma qui représente les différentes sauvegardes

2.4. Le fonctionnement de Git: Versionning et Fork

a. L'archivage par le versionning

La première fonction caractéristique de Git est le versionning, il s'agit d'un processus de documentation qui permet d'enregistrer les modifications apportées à un projet et ainsi d'archiver les différentes étapes de travail. L'archivage des différentes versions permet aux utilisateurs de structurer, d'organiser, de cartographier l'évolution de leur travail individuel ou collectif. Chaque projet possède une arborescence qui représente les différentes évolutions de celui-ci. Représentées par des commits, les mises à jour successives sont figurées sur une timeline. Cette automatisation de documentation et de cartographie d'un projet est une fonction intéressante pour permettre le suivi de projet et elle peut être particulièrement pertinente dans le cas d'un projet créatif.

1962 Raphaël Bastide, 1962, affiche représentant une sculpture versionnée, exposition au Festival de l'affiche à Chaumont 2013

L'artiste Raphaël Bastide utilise le versionning de Git pour documenter la création d'une sculpture : 1962. Cette sculpture existe précisément par ses différentes versions. Il a réalisé une affiche pour le festival de l'affiche de Chaumont qui présente ce processus de création en détournant l'arborescence de Github.


b. Le Fork, illustration de la contribution

La seconde fonction spécifique de Git réside dans la possibilité de forker. Les projets en ligne sur Github étant principalement des projets libres où le code source est ouvert, la communauté entière peut contribuer par un système de fork. Forker un projet, c'est créer une déclinaison du projet initial donc se l'approprier, le modifier, le transformer. Lorsqu'un utilisateur forke le projet d'un autre, une nouvelle branche s'ajoute sur l'arborescence du projet initial : nouvelle ramification, un embranchement ou une fourche en français. L'utilisateur qui forke un projet devient le responsable de cette nouvelle ramification. La nouvelle branche est désormais à son nom mais en ayant pour référence le projet souche. Sur cet embranchement, l'utilisateur est libre de faire ce qu'il souhaite et il peut, ensuite, proposer en retour ses modifications au projet source. L'initiateur du projet d'origine est libre d'intégrer ou non les transformations apportées par le fork. S'il le fait, visuellement la branche est réintégrée au projet, elle modifie sa trajectoire sur l'arborescence pour fusionner avec la branche principale (dont elle est issue à l'origine). Si l'internaute du projet souche ne souhaite pas modifier son projet, la branche reste indépendante et libre d'être forkée par quelqu'un d'austre à son tour.

fork Arborescence Github : schéma des forks

c. Github un outil collaboratif qui s'étend au domaine artistique

Bien que Git soit initialement destiné au programmeur, son succès s'étend à d'autres domaines d'activités comme l'entreprenariat, la politique ou le design. Le co-founder de Github, Tom Preston-Werner, affirme que «le travail collaboratif et ouvert qu'ils ont créé pour le développement de logiciels est si attrayant qu'il attire des projets n'ayant rien en commun avec la programmation mais nécessitant une collaboration».[8] En effet, Github a été adopté par d'autres secteurs comme le créateur d'une entreprise qui a utilisé Git (via Github) pour rédiger son contrat de manière collaborative ou, plus incongru, la Maison Blanche qui utilise Git pour rendre les données plus accessibles. Le gouvernement américain a créé le projet Projet Open Data, qui a été écrit et codé sur Git. «C'est la première fois que la Maison Blanche publie ses données avec un repository Github»[9] explique Steven Van Roekel (White House CIO). De la même manière, la ville de Montpellier a publié ses données publiques sur Github: Open Data Ville de Montpellier. Il est désormais possible de forker ou d'envoyer des pull requests à des projets d'état via Github.

Git supporte toutes sortes de projets collaboratifs que ce soit la création d'une invitation de mariage ou l'élaboration de logos comme pour le projet Fait main un magazine de Do It Yourself ou le projet Pélican. Ainsi, la plateforme est en train de s'ouvrir à des projets de design : «Git Hub veut rendre la collaboration sur le design 3D et sur l'impression aussi facile qu'elle l'est avec le code.»[10] Les fonctions de Git initialement créées pour supporter le travail de développeurs, sont des outils qui peuvent transformer le rapport à la création. Ainsi, la possibilité de recevoir des commentaires, des améliorations, des conseils de la part d'autres créateurs peut produire un écosystème stimulant pour la création en marge de la vision classique du travail d'auteur. Je développerai cette idée dans la dernière partie.

3. Comment la contribution influence le design graphique ?

3.1. Culture internet et image collaborative

a. Un design collaboratif en ligne

En premier lieu, je reviens sur les pratiques de créations qui utilisent le réseau Internet comme outil collaboratif. D'abord, les graphistes Kevin Donnot et Elise Gay ont utilisé l'activité des internautes (crowdsourcing) pour élaborer une typographie. Particip-a-type.co.cc est un site de création typographique participative en ligne. Chaque utilisateur dessine un caractère en modifiant le dessin de l'utilisateur précédent et son caractère sera lui même repris par l'internaute suivant. Une grille triangulaire a été créée pour donner une unité aux différentes typographies dessinées. Toutes les fontes dessinées sont ensuite téléchargeables.[11] De cette manière, le design fluide s'inspire de la philosophie collaborative d'Internet et tend à expérimenter et utiliser le potentiel du réseau dans la création.

participtype Capture d'écran du site de création typographique participative : Particip-a-type.co.cc Ccloaque Cloaque, cadavre exquis participatif

b. Création d'images s'inspirant de la culture Internet

Ensuite, il existe, en ligne, une effervescence autour de la création d'images collaboratives. Sur Internet, il existe de nombreuses plateformes de créations contributives. Cloaque est un Tumblr de créations collaboratives, il s'agit d'un long collage participatif. Les participants collaborent sur ce tumblr pour produire une œuvre unique explorant la forme du scroll infini. D'autre part, il existe des blogs participatifs appelés spirit surfers qui regroupent des artistes anonymes. Ils s'organisent collaborativement et créent un protocole de création commun : réutiliser une image existante pour en produire une nouvelle.


Enfin, le collectif Strobopast explique que la collaboration permet l'inattendu et l'accident. Le collectif regroupant sept artistes cherche à créer un nouveau procédé de création collaborative par un protocole d'échange de fichiers informels via e-mail pour créer des images ou des éléments visuels dynamiques. Les propositions des différents créateurs suscitent des modifications de la part des collaborateurs sans toutefois fixer des étapes de création. «La création s'établit par un jeu de réponses et l'intervention de chacun (illustrée par un casseau qui fait office de signature symbolique) est libre, laissant une grande place à l'intuition et la spontanéité.»[12] Ainsi, chaque création existe par la somme des opérations, une succession de couches à l'image d'une discussion. Ce processus créatif engendré par des modifications ultérieures se rapproche de la notion de fork évoqué précédemment. J'expliquerai dans la partie suivante comment le fork enrichit le processus créatif.

Cstrobopast Image collaborative créée par le studio Strobopast. Contributeurs: Julien A. Lacroix, Fabien Mousse et Quentin Descharmes

3.2. Le fork comme processus créatif

a. Les forks typographiques ont toujours existé

Tout d'abord, je noterais que historiquement les typographies ont toujours été des déclinaisons ou des améliorations de typographies existantes comme la Gill Sans que Eric Gill définit comme une amélioration de la typographie de Edward Johnston pour le métro londonien. Les typographies existent par familles qui regroupent un ensemble de déclinaisons à partir d'un caractère initial : des graisses, des largeurs différentes (condensed, bold). Ainsi la typographie est une création fondée sur la notion de déclinaison donc sur la notion de fork. C'est ce que Eric Schrijver explique dans l'article: «Personne ne commence une typographie depuis des esquisses et la logique du fork»[13]. Ainsi n'est-il pas étonnant de voir des typographies forkées pour enrichir la famille en créant une nouvelle déclinaison. «Objets culturels comme des polices de caractères peuvent plus facilement exister dans une abondance de formes similaires, car ils coexistent.»[14] Par exemple, dans le colophon du livre de Samuel Rivers-Moore : “Transparence Camouflage Opacité”, il y a une présentation de la typographie Arcadia designée par Rivers-Moore qui est un fork de limousine qui est, elle même, un fork de Free Sans inspirée de la typographie Nimbus Sans qui est, elle même, inspirée de Helvetica. En s'inspirant de la logique typographique, la création graphique pourrait être envisagée d'une manière collaborative.

Ccolophon Scan du colophon du livre Transparence, Camouflage, Opacité de Samuel Rivers-Moore

b. Le fork comme outil de création

De la même manière que le processus collaboratif est en train de transformer l'économie, la politique, les sciences, la finance, il me semble que la création se doit de tirer son énergie de cette collaboration. Ainsi, je crois en un nouveau champ d'expérimentation possible pour le graphisme qui passe par la mutualisation des productions et la contribution. En utilisant la plateforme Github comme outils de contribution, Raphaël Bastide et Jean-Baptiste Morizot se sont réappropriés le système de fork de Github pour produire une typographie. Jean-Baptiste Morizot a forké les premières recherches de Raphaël Bastide, ce dernier n'a pas réintégré les modifications à son projet. Le deuxième fork de Jean-Baptiste Morizot a été intégré au projet de Raphaël Bastide qui a continué de faire évoluer la typographie une nouvelle fois forké par Jean-Baptiste Morizot. Cet ensemble d'interactions et de modifications prend la forme d'une arborescence qui représente leur processus de travail commun. Ainsi, la fonction de fork me semble être un outil intéressant à détourner pour une pratique du design graphique fluide fondée sur la collaboration.

Cstep Image réalisée par Raphaël Bastide pour illustrer le processus collaboratif

D'autre part, FontYou est une plateforme de co-création typographique en ligne. Ce site Internet offre un espace de création vectorielle sur lequel les internautes peuvent travailler collaborativement en commentant, modifiant les créations d'autres internautes mais aussi en participant directement à la création d'un caractère (développement de nouveaux caractères, graisses). Un système de rémunération collaboratif a été mis en place en fonction du degré d'implication.

Cfontyou2 Capture d'écran de la plateforme FontYou – fonction modification Cfontyou Capture d'écran de la plateforme FontYou – fonction commentaire

De même, Google est en train de mettre en place un nouveau service : Font Bakery. En s'inspirant de l'intégration continue possible sur Github, cette plateforme permet de publier les mises à jour et les évolutions d'une typographie. Google répertorie plus de 600 typographies libres et avec cette plateforme, il souhaite encourager les Fork, les contributions, les déclinaisons typographiques et les mises à jour. Je donne l'exemple de Google pour souligner l'ampleur de la contribution typographique en ligne. Ces plateformes prennent la forme de grands laboratoires collaboratifs de créations typographiques.


c. Git un riche écosystème pour la création

Si la notion de fork semble évidente pour les typographies, je souhaite envisager ce même développement contributif pour le design graphique au sens large. Prenons l'exemple du studio OSP, mentionné dans le chapitre «Open Source». Pour le studio de graphisme OSP, la question de la collaboration est essentielle. Ainsi ils utilisent la collaboration comme processus de création aussi bien au sein du studio qu'à l'extérieur.


Au sein de leur studio, ils ont mis en place un protocole créatif. Par exemple, pour la création d'un site Internet, ils utilisent un traitement de texte collaboratif en ligne; etherpad sur lequel ils codent ensemble et en temps réel le CSS (la feuille de style, la partie graphique du site internet). Une personne est en charge du temps grâce à un gong : quand elle le fait sonner, la création est figée, ils regardent ensemble le résultat puis recommencent. Les impressions d'écran ci-dessous présentent les différentes étapes de création de leur site Internet.

Cosp1 Capture d'écran des différents étapes de création du site Internet de OSP

Cependant, le processus collaboratif franchit les murs de leur studio pour atteindre l'ensemble des internautes. En effet, ils utilisent le logiciel Git comme support de création collaborative. Ils diffusent leur production graphique via Git (sur leur site Internet), ce qui autorise chacun à forker leur travail graphique. En effet, a chaque fois qu'ils ajoutent un document à leur repository Git, il apparait sur leur site téléchargeable en fichier source. S'ils recherchent l'expérimentation entre eux, ils sont d'autre part intéressés pour contribuer dans l'émergence d'une communauté. Effectivement, ils envisagent le travail de graphiste différemment : ne cherchant pas à garder la source de leur travail pour eux, ils publient ou libèrent leur travail pour la communauté. Comme le révèle le nom de leur collectif, «Open Source Publishing», leur processus de travail comprend la divulgation de leurs projets, «release early, release often»: publier rapidement, publier souvent.

Clafkon Forkable repository de Lafkon

De la même manière, les membres du studio de graphisme, Lafkon, propose, eux aussi, sur leur site un accès à leur repository Github. De ce fait, l'ensemble de leur production graphique est forkable. «Le référentiel forkable est un miroir en ligne de notre environnement de production. Il accueille tous nos projets à base de code, y compris les sources, les entrées et la documentation ».[15] Ainsi, Lafkon ou OSP sont les pionniers dans l'élaboration d'un écosystème participatif pour la création. Cette volonté d'amener l'esprit collaboratif propre au réseau Internet dans la création est, selon moi, une pratique riche et innovante qui est en accord avec les systèmes contemporains.

Cosp2 Site Internet du studio OSP

Ainsi, le fork est une fonction qui peut être développée pour la création graphique. Cette action de fork appliquée à la création tend à rendre le graphisme fluide en lui insufflant un mouvement participatif et collaboratif. En forkant le projet d'un autre, j'initie un mouvement fluide entre les contributeurs. «Inspiré et être inspiré» est une dynamique fluide dans laquelle réside la force de la création. La contribution permet, selon moi, de renouveler les enjeux du graphisme et d'apporter une richesse nouvelle qui passe notamment par un écosystème participatif. Aujourd'hui, la co-création est un processus adapté à nos modes de vie contemporains fondés sur le réseau Internet. De ce fait, j'encourage des contributions plus larges que ce soit entre des corps de métiers différents ou entre professionnels et amateurs.

Mème Internet et Intelligence collective

1. Définitions

1.1. Intelligence collective

«Qu'est-ce que l'intelligence collective ? C'est une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences.»[1]


James Surowiecki explique dans son livre La sagesse des foules, comment les foules sont, dans un certain contexte, plus intelligentes que les experts. Effectivement, «dans des circonstances favorables, les groupes sont remarquablement intelligents, et souvent plus encore que les personnes les plus intelligentes entre elles.»[2] L'intelligence collective, la sagesse des foules, le crowdsourcing, désigne la capacité cognitive d'une communauté à s’organiser résultant de multiples interactions entre les membres. La notion de multitude sur Internet créant de la valeur, «la dimension relationnelle du web s'est ainsi trouvée accélérée par l'augmentation très forte du nombre d'utilisateurs et d'outils à leur disposition.»[3]

Cette capacité distribuée est caractéristique d'Internet, Thierry Crouzet observe dans son livre Le peuple des connecteurs la façon dont les internautes s'organisent en l'absence de chef. Les citoyens en tant que web-acteurs agissent sur le web, «nous assistons à une appropriation du web par les Webacteurs connectés les uns aux autres en réseau.»[4]

1.2. Mème Internet

Le mème internet est «un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur internet.»[5] «Dans sa forme la plus sommaire, un mème internet est une idée simple propagée à travers le web. Cette idée peut prendre la forme d'un hyperlien, d'une vidéo, d'un site internet, d'un hashtag, d'un personnage récurrent ou simplement d'une phrase ou d'un mot. Ce mème peut être propagé par plusieurs personnes par le biais de réseaux sociaux, de blogs, de messageries instan­tanées, d'actualité, et autres services internet.»[6]

Mcopypasta1 Mcopypasta2 Mcopypasta3 Mème Internet: copypasta. Mème qui s'est developpé autour de la pratique du copier-coller qui vient de «copy» and «paste» en anglais.

2. Pourquoi l'intelligence collective et le mème internet sont des enjeux pertinents ?

2.1. Une communication auto-organisée

En permettant aux internautes d'échanger des informations, la copie s'est affirmée comme une fonction caractéristique d'Internet. Par l'action de copier et de coller, un mouvement, une dynamique fluide se crée. Ce qui forme l'essence d'Internet c'est cette possibilité de tout copier, modifier, partager. Apple s'inspire en 2001 de cette culture par le slogan: «Rip, Mixe, Burn»[7] qui signifie «Copie, Mixe, Grave». Cette duplication à l'échelle de l'ensemble des internautes rend le web animé. Par la somme des actions de chaque internaute, nous avons le sentiment qu'Internet fonctionne comme un organisme vivant. Effectivement, cette notion de multitude crée de la valeur sur Internet, «plus il y a de contributeurs, de relations créées, plus internet sera riche de ressources.»[8]

En subissant l'action des internautes, l'information est modifiée, transformée, augmentée, commentée. En effet, je remarque que la sagesse des foules ou crowdsourcing a transformé la communication. Par la somme de leurs actions, les internautes influencent les mouvements d'informations, la multitude de leurs activités a fait évoluer la communication vers une communication auto-organisée. Je pense par exemple, au Hashtag sur Twitter, cette fonction s'est imposée d'elle même. Elle ne figure pas dans les caractéristiques initiales du logiciel, le hashtag s'est auto-créé par l'activité mimétique des internautes.


Ainsi, la notion de communication classique n'existe pas sur Internet. Si dans l'espace réel la circulation des informations passe par un circuit conventionnel: journalisme/écrit, graphisme, publication, maison de presse ; sur Internet ce schéma est explosé: il y a pas un seul système, il y a une multitudes de systèmes. En effet, l'information sur le web peut être produite par des journalistes professionnels, des amateurs ou par n'importe qui via un blog par exemple. Je soulignerais que sans créer un blog, nous publions déjà de l’information tous les jours: en écrivant un tweet, en postant une information sur Facebook ou en commentant une information sur n'importe quel site Internet. Tim O'Reilley explique que «les "cascades d’informations" retweetées propagent les flashs d’information à travers tout Twitter en un instant, ce qui en fait la première source de prise de connaissances de l’actualité pour de nombreuses personnes.»[9] Ainsi, si dans le monde réel nous n'avons jamais produit d'information publique, sur Internet nous le faisons constamment. La communication sur Internet ne passe plus uniquement par des canaux professionnels elle passe aussi par l'action des internautes. C'est la façon dont les internautes se réapproprient l'information qui est cruciale : la façon dont ils la copie, l'annote, la modifie, ce qu'ils en disent et à quel endroit.

Sur Internet, cette nouvelle communication communautaire anéantit le système classique dans lequel la position du graphiste était définie. Ainsi, si l'ordre a changé, si l'activité du graphiste ne se situe plus entre le contenu et la publication, comment penser la communication sur Internet ? En effet, le moteur de communication a changé, les institutions professionnelles ne sont plus les seuls vecteurs d'informations. La duplication par les internautes (copie, reblog, retweet, following, partage) est devenu le nouveau mécanisme de diffusion d'informations. De ce fait, la place du graphiste a évolué : comment communiquer des informations, comment rendre des connaissances intelligibles sur Internet ? Je considère que le graphiste doit prendre en compte le mécanisme de duplication insatiable d'Internet pour produire une communication visuelle adaptée.


2.2. Propagation de l'information par la mémétique

D'abord, je souhaiterais faire un parallèle avec la mémétique, définie par Richard Dawkins en 1976 dans son livre le «Gène égoïste», puis reprise et étudiée par Susan Blackmore. De la même manière que la génétique étudie l'évolution des espèces, la mémétique est l'observation de l'évolution des informations et des cultures qui survivent ou se répandent par la sélection naturelle. La mémétique inclut la propagation, la mutation et l'extinction d’éléments de culture. Formulé par Richard Dawkins, la mémétique se base sur la notion de mème pour définir ce qui est imité. Elle reprend le principe de la théorie de l'évolution de Darwin et l'applique à des éléments de culture comme les codes culturels, les schémas informationnels, les comportements, … De la même manière que les espèces subissent une sélection naturelle dans leur milieu, les choses que nous imitons subissent elles aussi une sélection. Susan Blackmore explique qu'il y a mémétisme quand trois actions sont combinées: copie, variation et sélection. Elle affirme aussi que l'imitation entraine la création de design émergeant de nulle part. Et je voudrais souligner ce point, «toute information qui est modifiée et sélectionnée va produire de la création»[10]. De plus, elle explique comment la mémétique crée de l'intelligence : c'est en nous imitant que nous créons des comportements, des religions et notamment des langages.

Si c'est en se copiant les uns les autres que les hommes ont développé des langages, nous pouvons penser qu'Internet en tant que lieu hautement mimétique est un espace qui crée un nouveau langage : un nouveau système de communication fondé sur la duplication. De la même manière que les espèces subissent les effets de la théorie de l'évolution, l'information est auto-sélectionnée par les mass-média, certaines informations perdurent pendant que d'autres s'éteignent.


Les informations sur Internet sont en permanence dupliquées, c'est par ces copies qu'elles se déplacent dans le cyberespace. Dans la durée, la copie d'un élément, provoque sa propagation. Sa duplication en chaîne entraine une idée de mouvement, de prolifération. Les mèmes internet circulent sur le web de manière fluide, au grès des courants, ils sont copiés, amplifiés, détournés. La duplication leur donne de l'importance. Plus une image sera vue, plus elle sera dupliquée. Ainsi, sur Internet une nouvelle forme de communication est née, une communication par la propagation.


2.3. Un communication fluide

D'autre part, Pierre Levy explique dans l'intelligence collective, les évolutions de la communication depuis le début de l'humanité. Avant les médias imprimés, la communication se faisait par la parole, le chant ou la danse. Impliquant le corps et les gestes, ces échanges étaient fluides car basés sur un système d'interaction. Selon l'auteur, les médias imprimés ont figé la communication: «Les technologies médiatiques fixent et reproduisent les messages»[11] pour atteindre un public très large : la masse. Ils ont une échelle bien plus grande que les médias «somatiques» (parole, danse…) «Mais, ce faisant, ils les décontextualisent et leur font perdre la capacité qu'ils avaient de s'adapter aux situations lorsqu'elles étaient émises par des corps vivants.»[12] Ainsi, en m'appuyant sur les analyses de Pierre Levy, je décrirais les médias imprimés comme des médias solides car figés. C'est ce que Pierre Lévy explique lorsqu'il dit que «dans le communication écrite traditionnelle, toutes les ressources du montage sont employées au moment de la rédaction. Une fois imprimé, le texte matériel garde une certaine stabilité…»[13]
En revanche, l'auteur explique qu’Internet, en tant qu'espace d'interaction et d'échange, permet une communication «vivante». Selon lui, on retrouve dans le cyberespace cette notion d'échange et de fluidité des informations. «Le cyberespace tend à reconstituer sur une plus grande échelle le plan lisse, le continuum individus, le bain vivant et fluctuant qui unissaient les signes et les corps, comme les signes entre eux avant que les médias n'isolent et ne fixent les messages.»[14] Ainsi, j'observe que la communication sur Internet par ses interactions est une communication fluide. Fondée sur l'échange, l'espace d'Internet permet l'émergence d'un nouveau langage fluide. «Le numérique autorise la fabrication des messages, leur modification et même l'interaction avec eux, atome d'information par atome d'information, bit par bit»[15].

3. Comment l'intelligence collective et le mème Internet influence le design graphique

3.1. Le mème : la communication visuelle d'Internet

Metahaven affirme que «les mèmes tendent à être plus prospères s’ils sont à la fois copiés et imités.»[16] D'autre part, nous avons vu que la diffusion d'informations sur Internet était basée sur l'activité des internautes qui la duplique et la modifie entrainant sa prolifération. Les mèmes Internet se propageant à travers Internet par la copie et l'imitation, je remarque que ces éléments sont le pendant visuel de la circulation numérique d'information de ce fait nous pouvons envisager que ces éléments correspondraient à la communication visuelle d'Internet et ainsi seraient le design graphique du web. Ainsi, il me semble que le graphisme devrait s'inspirer des mèmes pour diffuser de l'information, des connaissances ou des idées.

3.2. Subdivision en unités de création

En observant les mèmes et leurs évolutions dans le cyberespace je remarque que l'information tend à être de plus en plus divisée en petites entités : en unité de pure information, ce qui transforme la façon dont le design graphique peut créer du contenu. À l'image des mèmes, le graphiste pourrait diviser son contenu en unités pour leur permettre d'évoluer sur Internet. Actuellement, lorsqu'un graphiste veux communiquer sur un évènement, il crée des affiches, des flyers, des bannières qui contiennent l'ensemble des informations : date, nom, lieu, descriptif, intervenants, visuel. Ces objets rassemblent toutes les informations qui communiquent un élément. En s'adaptant à Internet nous pourrions imaginer de subdiviser ces informations en unités pour leur permettre d'exister sur Internet à la manière des mèmes.

Mpetv¬ Pinar&Viola, The Panda Show

3.3. Internet, nouveau support de création

Lorsque Pinar&Viola ont communiqué le travail du designer Nicola Formichetti, elles n'ont pas créé d'affiche ou de site, elles ont réutilisé un mème, l'ont copié, imité et modifié et ensuite propagé sur Internet. Le projet «panda show» est une application webcam permettant de se prendre en photo avec un panda imitant ceux créés par le désigner : «pour propager la famille panda»[17]. Je souligne, par cet exemple, le fait que le travail de designer graphique ne peut plus être limité au support de l'affiche, du livre, du site Internet, du logo, de la bannière, du flyers… Le nouveau support du designer graphique c'est Internet dans son ensemble. Internet étant un espace fluide propice à la propagation des informations, le travail de graphiste n'a pas lieu d'être cloisonné à des supports. Et c'est ce que signifie la question de Metahaven lorsqu'ils disent que «la dernière chose que le design graphique doit faire serait de se poster lui-même sur Internet ?»[18]. En effet, je pense que le design graphique gagnerait à s'intéresser à la matière d'Internet comme matière de création et matière de diffusion de savoir.

Mformichetti¬ Pandas créés par le designer Nicola Formichetti

Bien qu'il existe des sites Internet désignés par des graphistes, le design graphique reste en surface d'internet. Metahaven souhaite voir le graphisme se poster sur Internet, comme on poste un mème. De la même manière que les mèmes sont réappropriés par les internautes, j'envisage un design graphique qui serait copié, modifié, imité par les utilisateurs. En déposant une unité de création sur Internet, je la dépose à la surface d'un organisme vivant, qui va digérer mon projet. Le designer peut créer du contenu sous forme de petites unités inspirées des mèmes et distiller ces entités de création une à une sur Internet. En tant que créateur, il est important de comprendre cette fluidité et d'en utiliser les effets dans sa production. Ainsi le designer peut se positionner comme un lanceur de vaisseaux de design à travers Internet et observer par la suite ce que ces entités deviennent. Ce goutte à goutte de création va se mélanger au déluge de données qui composent déjà l'Internet. De ce fait, le design graphique doit s'affranchir de ses supports fixes pour exister de manière fluide sur Internet et supporter visuellement des idées, des informations ou des connaissances. «Ces facteurs mettent au défi le graphiste qui doit errer sur l'Internet de manière visuelle. Pas seulement le comprendre ou le retenir mais plutôt en le laissant couler, ruisseler, déborder.»[19]

Mmthvn Metahaven, Island in the cloud

3.4. Propagation des informations : communication virale

Selon Metahaven, «L'action politique au 21ème siècle a dépassé le manifeste. Pour atteindre une taille critique, il déploie de nouvelles stratégies avec des propriétés virales et des compétences de survie darwinienne».[20] Si l'action politique a dépassé l'affiche politique, est-ce que le design graphique pourrait suivre la même évolution ? Nous pouvons envisager que la diffusion des mèmes utilisés pour des idées politiques soit plus largement reprise par le graphisme comme système de propagation culturelle. Je souhaiterais que la viralité et la propagation soit l'essence du graphisme de demain: du design fluide. En suivant l'extrême fluidité des mèmes, le design graphique peut rentrer littéralement dans le cyberespace et se laisser ballotter au gré des courants. Jenniffer Allen explique qu' «il semblerait que Walter Benjamin avait tord de penser que la reproduction allait conduire à la perte de l'aura» [21], effectivement, «les travaux gagnent en importance plus ils sont reproduits et vus, aujourd'hui la reproduction digitale comprend aussi la post-production, la critique (like, dislike), les commentaires et les retweets.»[22] Désormais, la reproduction digitale engendre la propagation.

Mfreezer Mème Internet, Heads in the freezer.

J'analyse le projet Island in the Cloud du studio Metahaven, comme la création d'une série de mèmes prêts à se diffuser sur le web. Ce projet est un soutien au groupe d'activistes islandais IMMI qui milite pour un Internet libre. Metahaven a créé une série d'images à la façon du mème internet, ils ont diffusé leurs images les unes après les autres sur Internet via leur tumblr. Metahaven n'a pas conçu un site Internet comme support fixe et unique pour ce projet. Ils ont créé des mèmes postés sur tumblr qui seront copiés, dupliqués, rebloggés de tumblr en tumblr ou de sites en sites. Leurs créations sont des entités uniques, le lien qui les unit réside dans leur ressemblance, leur mimétisme. Bien qu'elles soient indépendantes elles forment un tout. Si nous recherchons dans Google Image le nom du projet, l'ensemble des images est rassemblée. Je ferai le parallèle avec le mème Heads in the freezer. Le créateur du mème avait incité les internautes à se prendre en photo la tête dans leur congélateur et de nommer leur photo par une série de chiffres : 241543903. De ce fait si nous tapons ce mot clé sur google image nous pouvons voir tous les mèmes réalisés. Le support d'origine du mème n'a pas d'importance, ce qui compte c'est son parcours, son évolution, sa propagation. Je souhaiterais, par le graphisme fluide, expérimenter la propagation comme système de diffusion d'évènements, d'œuvres ou de connaissances.

Biens Communs

1. Définition

«On parle de «biens communs» chaque fois qu’une communauté de personnes est unie par le même désir de prendre soin d’une ressource collective ou d’en créer une et qu’elle s’auto-organise sur un mode participatif et démocratique pour la mettre au service de l’intérêt général. L’eau, l’air, les forêts ainsi que les océans et autres ressources naturelles; une langue, un paysage, un code source informatique, une œuvre ou un édifice passés dans le domaine public, tous peuvent être traités comme des biens communs et la liste n’est pas exhaustive.»[1]

BCstealing Page du magazine Emigre, numéro 58, été 2001

2. Pourquoi les biens communs sont un enjeu pertinent ?

2.1. Copie, unicité et propriété intellectuelle

a. La copie: un potentiel de création que le droit n'a pas envisagé

Comme nous l'avons envisagé dans le chapitre précédent, la copie est une fonction élémentaire de l'activité d'Internet. Le partage entre pairs, «peer to peer», propage l'information à travers le cyberspace et permet aux utilisateurs de diffuser des images, du son et de rependre cette créativité en tout lieu. Cette duplication généralisée fonctionne comme le moteur d'Internet.


Or, le droit actuel condamne cette activité : le fait de copier numériquement des œuvres est illégal. Il existe un conflit entre le partage généralisé sur Internet et le droit d'auteur. Le bloggeur et auteur de science-fiction, Cory Doctorow, est fermement opposé à cette interdiction du partage, il «pense que nous vivons dans un espace où toutes les choses peuvent exister sous forme de bit.» il «pense que les bits existent pour être copiés. Par conséquent,[il] pense que tout modèle qui fonctionne sur le fait que vos bits ne soient pas copiés est juste stupide».[2]

Par ailleurs, Internet est décrit par Lawrence Lessig comme «l'un des plus importants biens communs de l'innovation»[3]. Pour Lionel Maurel cette «guerre contre le partage»[4] est une mise en danger d'Internet en tant que bien commun. Selon lui, interdire les échanges entre les internautes revient à les priver d'un droit. Le juriste Lawrence Lessig est convaincu que la force d'Internet réside dans cette capacité de partage entre tous les individus et il écrit en 2004 qu'il craint que «le monde du copier-coller qui définit Internet aujourd'hui devienne le monde du obtenir l'autorisation de copier-coller ce qui est un cauchemar pour les créateurs.»[5] En effet, selon lui, la copie et le partage ne nuisent pas à la création mais au contraire l'encourage. Il explique qu'Internet a permis d'élargir les outils numériques et ainsi d'ouvrir l'horizon créatif. «Nous construisons une technologie (…) qui permet de mixer des images en mouvement et des sons, y ajoute un espace de commentaires et la possibilité de propager cette créativité partout. Mais nous construisons aussi des lois qui interdisent cette technologie.»[6] Ainsi, je remarque qu'Internet présente des potentiels de création que le droit n'a pas considérés. Si la nature des biens culturels a évolué, le droit lui reste inchangé. J'expliquerai dans le paragraphe suivant les mutations opérées par le numérique sur la création.

b. Unicité et œuvre numérique

Pour expliquer l'évolution du rapport à l'œuvre causée par le numérique, je présenterai l'idée directrice du texte l'œuvre discrète de Eric Watier. Il nous montre que «jusque là une œuvre de l’esprit avait nécessairement un support physique fixe»[7]. L'objet par son unicité est un original et de ce fait il préserve la singularité d'une œuvre. «Le droit d’auteur protégeait l’originalité d’une idée grâce à l’originalité de son inscription dans une forme. Les deux étaient inséparables.»[8]


Or, le support a évolué, une œuvre numérique est traduite en code: il y a une différence entre le code et le support (toujours différent) qui accueillera la création. «Pour profiter d’un objet numérique, il faut le réactiver.»[9]. «Si au début du 20ème siècle c’était encore la reproduction d’un objet qui provoquait sa consommation, aujourd’hui c’est le désir de consommation d’un objet qui va provoquer sa reproduction : pour consommer il faut repro­duire.»[10].


Eric Watier explique, d'autre part, que le téléchargement ne prive personne, il ne retire aucun objet. Au contraire, il en crée un supplémentaire. «Il provoque la réactualisation d’un objet par l’édition d’un objet supplémentaire».[11]. L'industrie parle de vol là où il s'agit de production supplémentaire, de copie. Et l'auteur pose une question essentielle: «Comment penser l’économie d’un objet si sa consommation n’est plus son épuisement mais sa prolifération ?»[12].

De la même manière, Serge Soudoplatoff explique que «quand on partage un bien matériel il se divise, je prends une pizza je la divise en quatre chacun a un quart de pizza. Quand on partage un bien immatériel, il se multiplie.»[13] De ce fait, le numérique a opéré un changement frontal et profond sur la nature des biens culturels. Impactés par l'économie de l'abondance, les biens culturels ont perdu la notion d'originale et donc d'unicité. Or, le contexte juridique nie cette évolution en essayant de recréer de la rareté sur un système qui est celui de l'abondance.

Le copyright tel qu'il est envisagé actuellement ne prend pas en compte la logique d'Internet et son économie de l'abondance. «L’époque actuelle nous oblige à repenser et à reformuler la notion de plagiat. Sa fonction a trop longtemps été dévaluée par une idéologie qui n’a plus sa place dans la techno-culture» explique Olivier Blondeau et il ajoute: «il est temps de nous servir ouvertement et audacieusement de la méthodologie de la recombinatoire[remix], histoire d’être mieux en accord avec la technologie de notre temps.»[14] En effet, nous pouvons observer l'émergence d'alternatives au droit d'auteur classique. Je présenterai, par la suite, les nouveaux enjeux et une sélection d'alternatives pertinentes.

2.2. Assurer les droits d'auteurs sans couper la libre circulation des savoirs et des connaissances

Avant tout, je souhaite souligner l'existence d'un double enjeu autour du copyright: d'une part, assurer le droit des auteurs et d'autre part permettre une libre circulation des connaissances. Or, comme nous l'avons envisagé dans la partie précédente, la répression contre le partage entre individu freine la circulation des œuvres et des connaissances. En créant des droits d’auteurs restrictifs, la circulation des connaissances et de la culture est figée. Mais, à l'inverse, en favorisant une grande circulation de la culture, les auteurs peuvent perdre l'avantage de leur travail. En effet, développer une seule de ces deux composantes a pour conséquence de fragiliser la seconde. Pour Phillipe Aigrain, il est important de sauvegarder le partage et l'échange comme un droit tout en reconnaissant le travail des auteurs. «Si nous reconnaissons que les individus ont le droit de partager des objets numériques entre eux, comment assurer que les auteurs seront justement reconnus et financés pour leur production.»[15]

Découvert pendant le festival Libre Graphic Meeting à Liepzig, le projet de Jonas Öberg propose un regard intéressant par rapport à cet équilibre entre droit d'auteur et libre circulation des informations. Il souligne le manque d'information (sources) sur les images circulant sur le web. A partir de ce constat, le projet Common Machine propose d'attribuer automatiquement des métadonnées aux images. Ces informations peuvent être la licence, l'auteur, l'origine mais aussi les modifications, les remixes. L'outil permet de copier simultanément l'image et l'ensemble des données qui la concerne pour «contextualiser le travail créatif» : une documentation de l'ensemble de son activités à travers le cyberspace. D'autant que, les services Internet ne gardent pas tous les métadonnées. Facebook, par exemple, supprime toutes les informations sur l'origine d'une image.


En effet, si une œuvre numérique n'a pas d'original, elle a cependant une origine: «c'est une œuvre qui peut être sans autorité mais jamais sans auteur.» Lawrence Lessig souhaite rendre l'exercice du droit d'auteur plus flexible et facile, pour permettre «à la création de se propager»[16] Si les images sont documentées et que les auteurs sont mentionnés comme étant à l'origine de la création, il me semble que les créateurs seront plus enclins à voir leur travail circuler librement sur Internet.

BCschema Pierre-André Mangolte, Le sens des migrations du code, d’un système de licence à l’autre

3. Comment les biens communs influencent le design graphique ?

3.1. Des licences libres basées sur l'idée du copyleft

Dans un premier temps j'aborderai la notion de copyleft comme étant une alternative au copyright. Représenté par un «c» à l'envers, elle propose une vision renversée du copyright grâce à des licences plus souples. Le copyleft est une notion qui découle du mouvement de l'open source. De ce fait, elle se fonde sur les quatre règles du «libre» (utiliser, copier, modifier et redistribuer), «une licence copyleft utilise le copyright pour assurer que toute personne qui reçoit une copie ou une version dérivée d’une œuvre peut utiliser, modifier et redistribuer, non seulement l’œuvre mais toutes les versions dérivées de l’œuvre. Ainsi, d’un point de vue non juridique, le copyleft est l’opposé du copyright».[17] Le copyleft est une autorisation donnée par l'auteur de réutiliser, modifier, distribuer son travail, à une condition, que les redistributions se fassent, elles aussi, sous copyleft. De ce fait, il n'y a pas d'évolution possible vers une restriction des droits. "La licence libre se “propage” avec l’œuvre, dans ses différentes incarnations et évolutions.»[18] Le travail original est par le copyleft un bien commun et il le reste grâce à la licence. Lawrence Lessig explique, dans L'avenir des idées, l'importance des ressources libres et des biens communs ; «les ressources libres ont toujours été un élément clé de l'innovation».[19] «Il estime que le «partage légal» et la «réutilisation» de la propriété intellectuelle sont des bienfaits pour la société."

BCvideo1 Brett Gaylor, Rip! A Remix Manifesto, vidéo

3.2. Les licences Creative commons

Dans un second temps, je présenterai les licences libres Creative Commons qui proposent des alternatives au droit de propriété intellectuelle. Pour accompagner les pratiques de création numérique, Lawrence Lessig a proposé une série de licences: les Creatives Commons. Elles permettent de faciliter la diffusion et le partage d'œuvres tout en encourageant de nouvelles pratiques de création à l'heure du numérique. Comme l'explique leur créateur, Lawrence Lessig “L’équilibre, le compromis et la modération – qui furent naguère les fondements d’un système de copyright qui mettait sur le même plan l’innovation et la protection – sont devenus des espèces en danger. Creative Commons s’attache à leur redonner vie. (…) Un seul but résume les projets actuels et futurs de Creative Commons : construire une couche de droits raisonnables et flexibles, face à des règles par défaut de plus en plus restrictives.”[20] Pour le fondateur du Creative Commons, l'enjeu des licences se trouve dans leur capacité à la fois à protéger les auteurs et à encourager la libre circulation de l'innovation et de la création en développant la création sous la forme de «communs». Leur slogan «partager, remixer» illustre l'idée selon laquelle ces licences souhaitent faciliter la diffusion et le partage.
En utilisant les licences Creative Commons, Kristine Alexanderson, a diffusé son travail à travers le web. L'artiste suédoise a pris quotidiennement des photos qui mettent en scène deux figurines de science-fiction. Par l'utilisation des CC, son travail s'est rependu légalement sur Internet, cette prolifération a contribué au succès de son projet.

BCcc Licences Creative Commons

Creative Commons sont des licences désormais très populaires qui proposent une solution flexible au droit d'auteur par un éventail de licences plus ou moins libres, plus ou moins ouvertes. Le but de cette licence est de proposer une alternative au copyright mais en offrant plus de souplesse et de possibilités pour permettre à l'auteur de choisir la licence qui correspond à son projet et à ce qu'il souhaite en faire. Elles peuvent être utilisées en complément du droit d'auteur. Au lieu d'interdire, cette licence permet d'ajouter des droits, des autorisations. En offrant une variété de licences, ceux qui choisissent de partager leur travail en utilisant une licence CC peuvent communiquer à la fois les interdictions et les autorisations. «Ces autorisations non exclusives permettent aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations.»[21] Il existe six pôles différents pour l'utilisation de cette licence. Par exemple en choisissant de combiner: attribution (BY), Non Commercial (NC) et Share alike (SA), je permets aux autres d'utiliser, et de modifier mon travail tant que le travail transformé est non-commercial et qu'il utilise la même licence CC que l'original. D'autre part, la licence CC : No Derivative works (ND) sous-entend que la modification n'est pas possible et que l'objet doit être utilisé dans sa forme existante. Généralement les graphistes impliqués quand les questions d'open source produisent leur travail sous Creative Commons, comme le fait le studio Lafkon.

BCvideo2 Brett Gaylor, Rip! A Remix Manifesto, vidéo

3.3. Permettre aux créateurs de profiter d'Internet en toute légalité

Enfin, Lionel Maurel explique qu'il existe une alternative plus concrète au droit d'auteur. Si les licences libres sont une alternative intéressante, elles restent une initiative qui doit être prise par les individus de manière autonome et elles ne permettent pas de changer concrètement le rapport à la création et sa diffusion numérique. Pour Lionel Maurel la solution serait d'admettre qu'un bien culturel sous forme numérique est nécessairement une forme de bien commun. De ce fait, il souhaite envisager la question du droit de manière globale et faire des œuvres numériques des biens communs. Je présenterai trois idéologies différentes qui souhaitent faire de la création un bien commun.


a. Philippe Aigrain, une contribution obligatoire

L'idée de bien commun informationnel a d'abord été évoquée par Philippe Aigrain dans Cause commune. Celui-ci propose de développer la notion de biens communs au champ des biens intellectuels. Sous la forme d'un univers culturel dans lequel le partage serait reconnu comme un droit, la proposition de Philippe Aigrain est de légaliser la pratique de piratage en soumettant un financement contributif: une contribution créative. Cette participation serait obligatoire pour tous les utilisateurs d'Internet et passerait par une cotisation mensuelle pour avoir accès aux Biens Communs culturels. Cette contribution obligatoire représenterait 3% du budget actuel des ménages pour la culture et permettrait de développer l'accès aux connaissances. Aujourd'hui, cette idée est reprise par la quadrature du net qui milite pour la mise en place de cette logique.


b. Parti Pirate développer la forme du don.

Ensuite, le Parti Pirate (parti européen) souhaite lui aussi légaliser les échanges culturels, pour lui, le partage ne représente pas un préjudice à la création. Cependant, il ne souhaite pas développer de contribution obligatoire, il la considère trop ancrée dans le fonctionnement du droit d'auteur. De plus, elle a pour conséquence de regrouper une grosse somme d'argent dans les circuits de gestion collective qui sont très critiqués dans la façon dont ils fonctionnent et dans la façon dont ils redistribuent les sommes. Ainsi, ils envisagent un système de financement par le don, qu'il soit individuel, par le biais du crowdfouding, ou grâce a un mécénat global qui permettrait d'organiser le don à l'échelle de la population.


c. Contribution créative

Enfin, Lionel Maurel soutient une contribution créative. Là encore, le partage n'est pas perçu comme un préjudice, il y a donc dans un premier temps la volonté de légaliser le partage à but non lucratif entre les individus. Cette approche propose de créer un système de financement sur d'autres bases que celles qui existent déjà. Le but serait de reverser un financement à toutes les personnes qui créent du contenu en ligne qu'elles soient professionnelles ou amateurs. Ainsi, ne pas reverser de l'argent seulement aux professionnels mais à toute personne qui rend son contenu partageable. Cette contribution aurait pour but d'encourager la création de contenu culturel.


Le designer graphique fluide souhaite une libre circulation des connaissances et de la culture, il peut, de ce fait, licencier son travail sous licence libre et choisir dans l'éventail des Creatives Commons. Le design fluide fondé sur des notions de partage, promeut l'établissement d'une création numérique sous la forme d'un bien commun dont le potentiel culturel sert à l'épanouissement de la communauté.

Web sémantique

1. Définition

«Le Web sémantique, ou toile sémantique, est un mouvement collaboratif mené par le World Wide Web Consortium (W3C) qui favorise des méthodes communes pour échanger des données. Le Web sémantique vise à aider l'émergence de nouvelles connaissances en s'appuyant sur les connaissances déjà présentes sur Internet. Pour y parvenir, le Web sémantique met en œuvre le Web des données qui consiste à lier et structurer l'information sur Internet pour accéder simplement à la connaissance qu'elle contient déjà.»[1]

2. Pourquoi le web sémantique est un enjeu pertinent ?

2.1. Connecter les données entre elles

a. Le web des données

Comme un atome ou une cellule, une donnée est une part indivisible, elle est la plus petite entité d'information. Le contenu (page web, texte, …) que nous consultons en ligne est composé de données : l'information est scindée en une myriade de datas. Ainsi, nous sommes en train d'aller vers un «monde des données», elles deviennent l'essence de la communication et de la connaissance. Tim Berners Lee explique les évolutions d'Internet : le Web 1.0 était une plateforme pour documents, le web 2.0 est un espace pour les individus et le web 3.0 sera une plateforme pour les données.« Les données sont partout, sous forme d’énormes répertoires de données produisant elles-mêmes leurs propres données, car la façon même dont nous interrogeons ces données devient elle-même source de données.»[2] Cette multitude de datas liquides produit un océan informationnel fluide. L’extrême fluidité des corps informationnels transforme la façon dont circule l'information. En modifiant notre accès à la connaissance, de nouveaux systèmes apparaissent dans des domaines divers comme le journalisme, le marketing, la politique, la science. Tim O'Reilly affirme que si le web 2.0 est un web qui a utilisé l'intelligence collective des internautes, le web de demain sera un web qui va utiliser l'intelligence collective des données et des capteurs. «L'univers de l'information de demain sera assurément un web de données» [3] conclut Frank van Harmelen.


b. Le web sémantique est dans sa phase Lego

Fondé sur la connexion des données entre elles, le web sémantique permettrait de changer la façon dont nous consultons l'information. En 15 ans le web sémantique s'est développé ; or, s'il existe aujourd'hui des applications sémantiques, son utilisation est encore faible. Par exemple, Google combine des systèmes de recherches sémantiques avec son outil actuel pour mieux identifier les informations et affiche sur certains moteurs de recherche des réponses directes. D'autre part, dbPedia est une communauté qui s'occupe d'organiser les informations de Wikipédia en données compatibles avec le web sémantique. Le mathématicien Richard Baraniuk décrit le web sémantique comme étant dans sa phase Lego[4] . Actuellement, il est composé de nombreuses pièces capables de se combiner entre elles, cependant la phase d'assemblage n'est pas encore produite. Comme l'explique Richard Baraniuk, le potentiel du web sémantique naitra du montage des pièces entre elles.

WSlinkeddata Diagramme : Linked Open Data

c. Connecter les données entre elles

Lors d’une conférence Ted, l'inventeur du web: Tim Berners-Lee, explique l'importance du contenu sous la forme de données. Ainsi, il constate que nous avons déjà mis toutes nos connaissances sur Internet: «tout ce qu'on peut imaginer est virtuellement sur Internet»[5]. L'important étant les relations entre les données, Tim Berners-Lee s'interroge sur ce qu'il se passerait si nous réussissions à les faire dialoguer. Une nouvelle forme de savoir pourrait probablement émerger des connexions et des liens entre elles. Aujourd'hui, les pages web sont liées entre elles par des hyperliens. Le but de la sémantique serait de connecter les données qui sont au sein des documents. Actuellement, un lien renvoie à une page web, un lien sémantique connecterait deux (ou plusieurs) idées entre elles. “Nous allons d’un web de documents connectés à un web de données connectées”[6], explique Nova Spivack. Ce sont les liens, les relations entre les données qui créent de l'intelligence. Ainsi, pour reprendre la métaphore du Lego, les potentiels du web sémantique viennent de l'assemblage des pièces entres elles. Pour assurer l'évolution du web vers un web sémantisé, les acteurs principaux se mettent d'accord sur des technologies pour amorcer cette conversion : les Sets Data sont des bases de données sémantiques. Ainsi, le web sémantique ne cherche pas à proposer un nouveau web, il s'agit de «rajouter une couche de signification au-dessus du web existant.»[7] Son but est de lier les données entre elles pour qu'elles soient utilisables par les ordinateurs et ainsi utiles aux gens.

WSlinkeddata1 Europeana, Linked open data Europeana video, 2012 WSlinkeddata3 Europeana, Linked open data Europeana video, 2012

d. Rendre le web compréhensible par les machines

Actuellement, les documents hébergés sur Internet sont des textes que les humains peuvent comprendre, le but du web sémantique est de rendre ces textes lisibles par les machines. Si les ordinateurs parcourent les documents textes à la recherche de mots clefs, ils ne connaissent pas le sens de ces mots. La proposition de Tim Berners-Lee est de restructurer les pages web pour les rendre compréhensibles par les ordinateurs. Cette performance repose sur des langages qui sont lisibles à la fois des humains mais aussi des machines : des métalangages.


Pierre Levy, auteur du livre : L'intelligence collective, pour une anthropologie du cyberespace effectue des recherches depuis plusieurs années sur l'élaboration d'un métalangage le ieml. La sémantique se base sur des métalangages comme le ieml, ce sont des systèmes de coordonnées mathématiques et linguistiques. Ieml est un projet de recherche visant à créer une langue artificielle conçue pour être utilisée de manière optimale par les ordinateurs et capable d’exprimer les nuances sémantiques ou pragmatiques des langages naturels.
Le but du web sémantique est de faire comprendre le sens des mots aux machines. Ainsi, nous passerions d'un web pour être lu à un web où les informations seraient comprises de manière intelligente par les ordinateurs. Par exemple, le mot Casablanca peut à la fois signifier une ville marocaine et un film. Si l'humain est capable en fonction du contexte de faire la différence entre les deux, l'ordinateur repère deux fois le même mot. De ce fait, le but de la sémantique est de faire comprendre aux ordinateurs le sens des mots.


e. De l'Internet sous la forme d'un catalogue à un web guide.

Par ailleurs, l'information ne sera plus contenue dans des documents, elle sera libre et fluide en tant que telle, sous forme de données. Le web sémantique promet de donner des réponses directes à des questions posées dans un langage courant. Par exemple, aujourd'hui si je cherche «Où se trouve la Tour Eiffel ?» le moteur de recherche me propose des sites contenant un texte dans lequel l'information se trouve et c'est en lisant le texte que je trouve ma réponse. Avec le web sémantique, le moteur de recherche sera capable de répondre directement «Paris». Ainsi nous sommes en train de quitter un web sous la forme d'un catalogue pour aller vers un web fonctionnant comme un guide. En effet, je ne chercherai plus mes informations au sein d'un document ou d'une vidéo, l'information ressortira en fonction de ma requête. Les requêtes sémantiques vont transformer la façon dont les sites Internet vont être pensés. Des sites internet vont être équipés d'un système de markup qui est généralement invisible dans la couche code. Le markup permet de donner des indications aux ordinateurs au sein d'un texte. En spécifiant par exemple que le mot Paris est un lieu, l'ordinateur pourra comprendre que la tour Eiffel est à Paris.

2.2. Une potentielle révolution des connaissances, un écosystème de pensées

a. Révolution des connaissances

Si nous arrivons à rendre intelligible pour les ordinateurs le contenu qui est sur Internet, grâce à la puissance de calcul, cela permettra une démultiplication des potentiels de connaissance. Tim Berners-Lee explique que nous sommes à l'aube d'une potentielle révolution du savoir. De la même manière que Wikipédia a transformé le champ des connaissances, le web sémantique peut augmenter le savoir humain. «Nous entrevoyons déjà une économie de l'information irriguée par l'interconnexion universelle et le traitement ubiquitaire d'énorme flots de données.»[8] Dans l'article The Hillis Knowledge Web, Daniel Hillis parle du web sémantique en utilisant le terme de Web des connaissances. Il évoque une database qui hébergerait tout le savoir humain, un réservoir de connaissances lisible par les ordinateurs. «Si les humain pouvaient mutualiser leurs connaissances dans une base de données lisible par les ordinateurs, alors les ordinateurs pourraient présenter ces connaissances aux humains dans le temps, le lieu et le format qui serait le plus utile pour eux.[9] » Selon l'auteur, le knowledge web nous rendra plus intelligent.

b. Un écosystème d'idées

Si la sémantique permet de développer les connaissances en connectant les données entre elles, Pierre Levy estime que l'avenir de l'Internet réside dans sa capacité à connecter les idées entre elles. Etant l'un des pionniers dans l'analyse de l'intelligence collective, Xavier De la Porte lui demande, lors d'une émission de Place de la Toile qui lui est consacrée, quelle sera notre utilisation d'internet dans l'avenir ? Selon Pierre Levy, les internautes iront dans des espaces sémantiques, des mondes des idées. À l'inverse de second life, ces espaces ne reproduiront pas notre environnement ordinaire en 3D. Ces réseaux de l'intelligence collective mettront en relation les avatars intellectuels des personnes. Les internautes se rencontreront dans ces espaces sous la forme d'esprits, chaque utilisateur aura un écosystème d'idées relié à d'autres écosystèmes de pensées. Ainsi la connaissance sera personnalisée en fonction de chaque individu. Pierre Levy, imagine un futur ou les objets, les personnes, les lieux seront augmentés d'un écosystème de connaissance, rendu visible par les Google Glasses par exemple. «Dans la civilisation numérique du futur, ce ne sont pas seulement les groupes humains qui se réfléchiront dans des écosystèmes d’idées : chaque personne, chaque œuvre de l’esprit, chaque concept, chaque objet, chaque lieu, chaque événement sera doublé d’un hologramme dynamique figurant l’écosystème d’idées qui le concerne.»[10]

3. Comment le web sémantique influence le design graphique ?

3.1. Création décloisonnée

En connectant des données ayant pour origine des documents distincts, les informations sous forme de datas vont s'affranchir de leur support pour exister sous la forme d'entités fluides. Les liens entre les pages vont disparaitre au profit des liens entre les données. Progressivement les datas vont s'émanciper de leur support pour exister dans l'océan de données. Par conséquent, le web va se liquéfier, se décloisonner entrainant une redéfinition du design graphique. Si le web se transforme en déluge d'information liquide, le designer graphique ne peut continuer d'envisager le design graphique de la même manière.


«L'explosion dont il est question concerne la bascule des contenus d'un site web d'une internalité à une externalité. Au lieu qu'un site web soit un «lieu» dans lequel les données «sont» et vers lequel d'autres sites «renvoient», un site web sera une source de données qui seront elles-mêmes dans de nombreuses bases de données externes, dont celle de Google (GoogleBase). Pourquoi alors «aller» sur un site web quand tout son contenu a déjà été absorbé et remixé dans un flux de données collectif (‘collective datastream’).»[11] De ce fait, l'information ne sera plus nécessairement sur un site Internet, organisée dans une boite. Elle existera en tant que telle de manière volatile. «Les données étaient autrefois enfermées, comme des fleurs dans des serres. Ce que l’on propose ici, c’est de les faire pousser en plein air, de façon à ce qu’une multitude d’abeilles non seulement se chargent de la pollinisation pour le compte des fleuristes, mais qu’on puisse créer du miel et la profession d’apiculteur».[12] Les frontières solides entre les sites Internet vont se dissoudre pour donner naissance à un espace unique fluide et liquide. Cette transformation de l'accès aux informations change la façon dont le graphiste peut organiser visuellement les connaissances et les idées. L'information existant de manière fluide dans un océan de données, le graphiste doit désormais, composer avec une masse liquide en changement constant.

Par ailleurs, les informations se recomposeront selon des recherches spécifiques. Faire une recherche ressemblera à tirer sur un fil qui activera une relation en chaine entre les différentes données. «Sur l'action de tirer se fondera la prochaine mutation. Certain l'appelle le Web 3.0 ; d'autre le web sémantique. Il s'agit d'une transition fondamentale qui passe de l'action de pousser à celle de tirer de l'information, en utilisant une nouvelle façon de penser et de collaborer en ligne.»[13] Ainsi le contenu sera essentiellement sous formes de flux de données. L'information, hébergée dans des bases de données, se créera dynamiquement en fonction d'une requête. Généré en fonction de la navigation, le design fluide devient un design fugitif qui se métamorphose en une infinité de forme pour s'adapter à toutes les situations. Le designer fluide compose des formes instables, des formes fuyantes.

3.2. Architecture fluide

Vidés de leur contenu, les sites Internet deviennent des formes complément fluides, extrêmement malléables, prêtent à s'adapter à toute sorte de contenu.« Nos liens vont devenir instables. Nos mots eux-mêmes ne seront peut-être plus que des inconnues dans des équations de phrases, des termes mouvants au gré de l'actualité ou des visiteurs pour mieux s'adapter aux contexte de chacun.»[14] Les structures graphiques du web décloisonné sont des architectures étirables dans lequel les espaces sont déformables et malléables. Le design fluide compose des architectures aux propriétés liquides capables de s'adapter à la diversité des contenus et dont la mobilité et la flexibilité en sont les caractéristiques.


Avec le web sémantique, les choses tendent à s'inverser : si le contenu est fluide, qu'il n'est plus hébergé dans des documents fixes comment créer des architectures adaptées ? Comment créer une forme sans en connaitre le contenu ? Habituellement le design graphique étudie le contenu en amont et produit une forme graphique en cohérence avec ce contenu. Le designer fluide qui compose avec une matière en changement constant, crée des formes étirables capables de s’adapter à toutes les natures de formes. De ce fait, le contenu disparait derrière l'architecture, c'est le dispositif qui dicte le contenu.

Métadonnées et Données personnelles

1. Définition

Les données personnelles, produites par les internautes, sont collectées par des entreprises privées ou des gouvernements. «Les modes de collecte se sont particulièrement diversifiés avec les technologies numériques. Elles peuvent aller : de la collecte d'informations contenues via un formulaire rempli volontairement par les individus jusqu'à l'enregistrement de traces (habitudes de navigation, localisation géographique de l'adresse de connexion, sites consultés, relations établies avec des individus ou des réseaux …).
Les modes d'exploitation peuvent être le fait des individus eux-mêmes par recherche d'informations à partir d'un moteur de recherche ou sur les réseaux sociaux en ligne, ou le fait d'organisations : marketing ciblé, fichage des populations par l'État, envoi massif de courriers non sollicités à caractère commercial, etc. Le modèle économique des acteurs majeurs du Web (Google, Amazon) et des réseaux sociaux (Facebook, Twitter) repose en grande partie sur l'exploitation des données personnelles des utilisateurs.»[1]

Ces informations sont connues grâce aux métadonnées: ce sont des données qui servent à décrire d'autres données, il s'agit d'une association d'informations comme par exemple la date de production d'une donnée. Ainsi notre surf, nos vitesses de lecture, nos points d'intérêts sont enregistrés, tous nos comportements en ligne sont connus et collectés. Les données implicites comprennent les informations cliquées, les habitudes de consommation, le pistage ou la géolocalisation ou toutes les données générées sans contribution «explicite» de l'utilisateur : elles forment le web implicite.


2. Pourquoi les métadonnées et les données personnelles sont un enjeu pertinent ?

2.1. Navigation personnalisée

a. La trace de notre navigation

«L'informatique se dissout dans nos comportements»[2] commentait Adam Greenfield en 2007. En utilisant les informations de nos comportements en ligne, Google peut actualiser sa liste de résultats en fonction de la popularité d'un résultat et ainsi proposer les pages les plus adaptées à une recherche. Effectivement, “quand nous touchons l’information, nous votons pour elle. Quand nous venons sur un billet depuis un article qu’on a apprécié, nous passons du temps à le lire. Quand on aime un film, nous le recommandons à nos amis et à notre famille. Et si un morceau de musique résonne en nous, nous l’écoutons en boucle encore et encore. Nous le faisons automatiquement, implicitement. Mais les conséquences de ce comportement sont importantes : les choses auxquelles nous prêtons attention ont une grande valeur pour nous, parce que nous les apprécions.”[3] Ces comportements implicites sont définis par des métadonnées. «Ces données sont multiples, hétéroclites, hétérogènes, mais elles se relient les unes aux autres. Elles répondent à des principes, des taxonomies, et produisent chaque jour des effets toujours plus puissants sur le corps économico-social de notre société.»[4] Ainsi notre navigation laisse des traces et révèle nos intentions et nos envies. Le web implicite fonctionne grâce à la connaissance de nos comportements en ligne.

b. Un média subjectif

En observant mon attitude en ligne, les plateformes sur Internet sont capables de devancer mes envies, ou du moins d'adapter leurs résultats à mon profil. En apprenant de nos comportements, le web nous propose une navigation personnalisée. Ainsi, nous avons un accès au contenu individualisé, nous ne parcourons pas le même web. Des résultats Google à la page d'accueil d’Amazon, nous utilisons une version sur mesure d'Internet. Nos recherches sont adaptées grâce à des «algorithmes prédictifs» qui calculent nos envies et nos intérêts. En fonction de mes navigations précédentes, les résultats de ma recherche Google seront différents. Ainsi, si je tape Obama dans ma requête Google, je n'aurai pas les mêmes résultats qu'un autre internaute. J'accède donc à l'information de manière individualisée et donc de manière subjective. Mes recherches sur Obama sont présélectionnées selon mes propres centres d'intérêts. Des préférences déduites implicitement de nos actions façonnent notre accès à Internet et rendent notre lecture subjective. Internet n'est donc pas un média objectif.


c. La puissance du parcours

Le web implicite est proche de la vision de Vannevar Bush lorsqu'il évoque la notion de sentiers, chemins («trails») qui dessinent la navigation d'un internaute. Pour lui, ce qui compte c'est notre parcours, notre chemin ; il affirme que ce parcours serait aussi important que le lien lui-même. Pierre Levy évoque l'idée de «dessiner (…) des chemins de navigation dans l'océan des données»[5]. Si le chemin a de l'importance c'est que l'activité subconsciente de l'utilisateur a de l'importance. C'est son activité dans le temps, son parcours inconscient qui donne du sens. “Nous sommes donc passés d’une toute puissance du lien hypertexte, point nécessairement nodal de développement du réseau et des services et outils associés, à une toute puissance du “parcours”, de la navigation “qui fait sens”, de la navigation “orientée” au double sens du terme"[6]. Ainsi le web implicite est proche des recherches de Vannevar Bush, «As we may think»: il fait un rapprochement entre la navigation et le fonctionnement du cerveau humain. Dans le web implicite, ce qui compte c'est le comportement, la progression d'un internaute sur Internet : le temps, les clics, les zones d'intérêts. L'activité mentale de la recherche et de la navigation n'a pas besoin d'être déclarative, elle est comprise implicitement par le navigateur.

Mwander1 Mwander2 Wander, Site Internet qui souligne le chemin de navigation emprunté

d. L'Attention Trust

L'attention et le temps des consommateurs deviennent des ressources rares dans des marchés où l'offre est abondante. Herbert Simon a formulé en 1971 le concept d'économie de l'attention: «Dans un monde riche en informations, l'abondance d'informations entraîne la pénurie d'une autre ressource : la rareté devient ce qui est consommé par l'information. Ce que l'information consomme est assez évident : c'est l'attention de ses receveurs. Donc une abondance d'information crée une rareté d'attention et le besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des sources d’informations qui peuvent la consommer».[7] L'économie de l'attention devient particulièrement présente avec l'existence du web implicite. Grace à la connaissance de l'attention de chaque internaute, l'économie de l'attention se développe vers une information ciblée ; les publicités ciblées en étant l'exemple majeur.

Mdonnee Image de la présentation de Hubert Guillaud, Vers une Nouveau Monde de données, mai 2012

2.2. Centralité de l'information

Nick Bilton explique dans son livre I live in the Future & Here’s How It Works que l'internaute est constamment au centre. Internet est un média qui place l'utilisateur au centre des choses. «Et ce centre change tout. Il change votre conception de l’espace, du temps et du lieu. Il change votre sens de la communauté. Il change la façon dont vous voyez l’information, l’actualité et les données arrivent jusqu’à vous.»[8] Il prend l'exemple de la carte, avec Google Map vous êtes toujours au centre de la carte. Les smartphones positionnent les utilisateurs sur la carte, ainsi c'est l'espace qui s'arrange autour de vous. En se déplaçant le centre se déplace aussi. C'est un changement par rapport aux cartes papiers qui, elles, organisent l'espace autour de lieux, de monuments. «Mais le monde numérique a changé cela. Désormais, nous sommes toujours au centre de la carte, et c’est un endroit très puissant où être.»[9] Ainsi, il explique que nous sommes devenus le centre, «le monde numérique vous suit et pas l’inverse.”[10] L'information que nous consultons est donc "hyper personnalisée». Ainsi, la jeune génération serait à la recherche de contenus personnalisés, d'expériences personnalisées. Et il ajoute «pour les créateurs de contenus, cela pose un problème : s’ils ne proposent pas une option pour consommer un produit de manière personnelle.»[11] Le client est un «moi au centre» et l'ensemble des activités commerciales est transformé par cette nouvelle position.

2.3. La fuite de nos données personnelles

«Les menaces de cette société de la donnée est à la hauteur de leur puissance, de cette nouvelle compréhension de l’individu et de la société qu’elles impliquent. Nous sommes entrés dans un monde où notre vie privée est désormais en réseau.»[12] Comme Edward Snowden l'a révélé en 2013, le programme de surveillance de la NSA, Prism, collecte les données des citoyens en vue d'une exploitation maximale: analyse, traitement, comparaison, stockage. Dirk Helbing explique que les stocks de nos données sont plus graves qu'ils n'y paraissent.« À la surface les problèmes de privacy ne heurtent pas, un peu comme la radioactivité ce sont des conséquences à long termes.»[13] En se désintéressant du traitement de nos données personnelles, nous allons lentement vers un régime totalitaire ou l'ordinateur prend l'allure d’un dictateur. «Internet, le meilleur de nos instruments d'émancipation, est devenu le plus redoutable auxiliaire du totalitarisme qu'on ait jamais connu.»[14] Le fondateur de Wikileaks, Julian Assange affirme qu'Internet est désormais «une menace pour l'humanité.»[15] Ainsi, pendant que nous rêvons à un meilleur monde, certains – les entreprises, les autorités gouvernementales, les services secrets – ont déjà mis la main sur nos datas.

Mprism Programme Prism

La démocratie occidentale actuelle suppose un gouvernement ouvert et le respect de la vie privée. La confiance est un concept clé de la relation entre les entreprises, le gouvernement et les citoyens. La transparence est une extension de la notion de confiance. «Cependant, comme des dénonciateurs l'ont montré, les pratiques des gouvernements sont souvent cachées sous un voile de secret et/ou des intentions cachées.»[16] Les structures de pouvoir à motivation économique fondées sur des secrets et fonctionnements cachés ne correspondent pas au principe démocratique humain et aux possibilités offertes par Internet comme l'auto-organisation ou le partage de l'information.

D'autre part, Julien Assange et Jacob Appelbaum soulignent, dans Menaces sur nos vies privés, la collecte des données organisée par des entreprises privées: «Il existe aussi une surveillance privée et la possibilité d'une collecte massive de données par le secteur privé. Il n'y qu'à regarder Google.»[17] Si la surveillance par les états a toujours existé, les smartphones sont devenus les mouchards les plus puissants jamais inventés. Constamment avec nous, notre utilisation des smartphones est très personnelle: nous envoyons des photos via Snapchat, nous nous déplaçons via Google Maps, nous consultons toutes sortes de choses via des applications. Or chacune de ces actions produit des métadonnées. En déversant nos identités en ligne via un flux d'activité implicite, chaque utilisateur, sur Internet, projette une ombre informationnelle, un nuage de données de nos actions en ligne. En connaissant nos déplacements, le contenu que nous consultons en ligne, la fréquence, ainsi que nos échanges personnels par photo, messages privés, mails, les entreprises peuvent obtenir rapidement un portrait-robot de notre personnalité (cartographie de nos envies de consommation ou de nos prochains actes criminels).

Mdata Page du magazine Emigre, numéro 58, été 2001

Si nous ne pouvons endiguer la production de données, nous pouvons cependant lutter pour récupérer les droits sur ces données. Aujourd'hui nous produisons des données dont nous ne sommes pas propriétaires. Ce que nous consommons en ligne est souvent gratuit, nos données personnelles sont le produit implicite de ces services. «C'est vous le produit»[18]. Jason Fitzpatrick explique que «si vous ne payez pas, vous n'êtes pas le consommateur, vous êtes le produit en vente»[19]. Ainsi, l'enjeu principal réside dans notre capacité à reprendre possession de nos données. Avec Internet les enjeux ont changé, la Quadrature du Net milite pour renforcer le droit et pour l'adapter à l'ère du numérique et ainsi protéger nos vies privées. «Plutôt que de se plier à des intérêts privés, il est essentiel que les législateurs obligent les entreprises à davantage de transparence et de responsabilité pour la protection de nos données et interdisent les abus.»[20]

3. Comment les métadonnées et les données personnelles influencent le design ?

3.1. Un double enjeu avec les données personnelles

La nécessité de maîtriser les données personnelles a considérablement augmentée au cours des dernières années. Les données personnelles étant devenues le nouveau pétrole et de ce fait un des principaux enjeux de demain, nous pouvons nous interroger sur le rôle du design ? Est-ce que le designer doit rester neutre par rapport à cet enjeu politique ou bien s'engager en faveur des droits des internautes ? Doit-il dénoncer ce qu'il observe comme un abus du droits des citoyens ou au contraire doit-il, lui aussi, utiliser ces données dans son travail ? Si la navigation en ligne devient personnalisée, est ce que la forme peut elle aussi être individuelle ?

 Mmthvn Metahaven, Connecting the Dots: Keith Alexander

a. Un design activiste

La collecte et l'utilisation des données personnelles restent aujourd'hui une menace pour la vie privée des internautes. Ainsi, nous pouvons envisager que le statut du designer puisse se rapprocher de l'activiste et ainsi dépasser la création de forme graphique pour chercher un engagement politique. C'est ce que poursuit le studio de graphistes Metahaven qui définissent leur pratique entre recherche et design. Ainsi, Daniel van der Velden et Vinca Kruk considèrent leur travail de designer sous la forme de critiques dans le sens où ils cherchent par leur production à refléter les implications politiques et sociales qui définissent notre société. «La structure d'Internet basée sur la transmission et l'imitation implique que les designers ne sont plus seulement capables de créer un message mais ils peuvent désormais jouer un rôle important dans les changements politiques et sociaux.»[21] Imprégné des questions de société, Metahaven a produit une série de projets engagés dans le maintien d'Internet comme espace de libertés fondé sur la neutralité ou la transparence. Sur ces questions, ils ont nourri un travail graphique et théorique, leur premier engagement a été en faveur de Wikileaks en produisant une identité graphique pour le mouvement. Plus récemment, ils ont organisé une exposition «Black Transparency : le droit de savoir à l'ère de la surveillance de masse»[22]. A travers des réalisations visuelles, des schémas, des vêtements, des vidéos, des interviews avec des militants, Metahaven a produit une recherche théorique et une production graphique sur les questions d'ambiguïté, de contradiction autour de la production et l'utilisation des données.

 Mrealface Simone Niquille, Real Glamouflage

b. Un design crypté

D'autre part, Facebook s'est transformé en une large technologie de «crowdsourced data mining» : un minage collectif des données personnelles. La graphiste Simone Niquille s'imprègne elle aussi des questions d'actualités et initie un projet qui s'intéresse à la reconnaissance faciale sur Facebook. Ainsi, elle a créé des t-shirts qui permettent de brouiller ce logiciel de reconnaissance, «realface glamouflage», grâce à une série de visages imprimés sur le tissu.


En réponse aux informations révélées par Edward Snowden, Sang Mun a produit une crypto-typographie, Zxx, il s'agit d'un caractère que la NSA (Google et les autres) ne peut pas facilement lire. «Ce projet contrecarre le statu quo – une lutte sans fatigue pour récupérer nos droits civiques et notre liberté. Ce projet ne va pas résoudre entièrement les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, mais du moins soulever des questions particulières.»[23] Le graphiste Sang Mun se définit comme un designer qui cherche à «exprimer notre servitude»[24]. À travers son travail, il développe sa propre vision à propos de la censure, de la surveillance et de la liberté.

 Mzxx Sang Mun, Zxx, typographie

3.2. Création personnalisée, création infinie

Si l'exploitation actuelle des données personnelles est faite d'une façon qui nuit aux citoyens, nous pouvons tout à fait imaginer une autre utilisation de ces données. La violation des droits des internautes réside dans l'archivage implicite, dans la privation de leur droit et dans leur utilisation ciblée. Cependant d'autres applications sont envisageables. Si ces données appartiennent aux utilisateurs, si elles sont anonymes et utilisées collectivement pour créer de la valeur sociale, dans ce cas les données personnelles ne représentent plus une menace pour la liberté des internautes mais au contraire une richesse collective. Ainsi, dans ce contexte précis, nous pourrions envisager une utilisation créative de ces données.


De la même manière que le web crée un accès à l'information personnalisé, nous pourrions imaginer des interfaces graphiques individuelles. L’utilisation des métadonnées permettrait de produire des formes qui auraient un affichage différent pour chaque individu et ainsi une interface web personnalisée. Cette forme pourrait aller dans le sens du web implicite et permettre une expérience visuelle personnelle. Mais elle pourrait aussi aller à l'encontre de la personnalisation d'internet en soulignant visuellement cette pratique. Nous pouvons imaginer de rendre visible la collecte de données ciblées. Par l'utilisation des métadonnées, nous pourrions révéler ou démontrer à l'usager les informations que nous connaissons sur lui. Ainsi, trouver des formes pertinentes en fonction de l'utilisateur soit en lui plaisant, mais aussi, peut être en lui déplaisant volontairement.


En s’appuyant sur les informations des internautes pour créer, nous permettons au designer de produire une infinité de formes. Un design personnalisé, généré à l’aide des métadonnées permettrait une multiplication exponentielle des formes. Ainsi, le designer crée un système unique qui a une infinité de facettes différentes. Une équation très connue dans les arts graphiques est 1+1=3 soit une image plus une image équivaut à trois images. La troisième image naissant du sens formé par l'union des deux premières. Aujourd'hui, l'utilisation de données dans la création peut permettre d'atteindre l'infini : une création unique qui aurait une infinité de déclinaisons. Ainsi, l'équation deviendrait 1=∞. Cela nous permet d’envisager l'idée d'un design éclaté, fluidifié dont la forme évolue en fonction des usages de l'utilisateur. En créant une infinité de formes, nous recréons une des propriétés des liquides : celle de s'adapter à toutes les situations. Ainsi, l'utilisation de métadonnées permettrait au designer fluide de créer des formes fluides.

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Pour le #designfluide, le code fait partie du processus créatif au même titre que l'impression #cssprint - Identité du théatre de la balsamine par OSP

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"Le Web ce n'est pas l'Internet."25 chôses que vous ne savez pas sur le web

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Le #designfluide crée des formes aux propriétés liquides capables de s'adapter à tous les supports

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Le #designfluide donne accès aux sources de sa création en vue de participer à l'élaboration d'un écosystème créatif

Biens communs Modifier Discussion Partager

Le #designfluide utilise des licences libres pour encourager la libre circulation des connaissances et des créations

Open Source Modifier Discussion Partager

Le #designfluide milite pour le maintien d'Internet en tant qu'espace de libertés notamment par l'utilisation d'outils libres ou par une production graphique engagée

Mème Internet Modifier Discussion Partager

Le #designfluide subdivise sa création graphique sous forme de données en vue de s'infiltrer dans l'océan informationnel d'Internet

Mème Internet Modifier Discussion Partager

Le #designfluide subdivise sa création graphique sous forme de données en vue de s'infiltrer dans l'océan informationnel d'Internet

Mème Internet Modifier Discussion Partager

Le #designfluide utilise la propagation comme système de communication

Web sémantique Modifier Discussion Partager

Le #designfluide utilise la sémantique pour connecter les idées entre elles et encourager le potentiel cognitif du web des données

Web sémantique Modifier Discussion Partager

Le #designfluide crée des architectures fluides : des structures extrêmement malléables, liquides, capables de supporter toutes sortes de contenus

Métadonnées Modifier Discussion Partager

Le #designfluide utilise les métadonnées pour produire une création ayant une infinité de forme différentes et ainsi recréer la notion de fluidité

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Les trois mots "Examiner, apprendre, connaitre" résument le mécanisme de la pratique libre. Mais, est ce que la première étape du processus créatif ne serait-elle pas basée, elle aussi, sur ces trois notions ?